13. Une journée normale sur le bitume

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Comme à chaque fois qu'il avait du chagrin, Kilian dormit plutôt bien. C'était comme un réflexe immunitaire dans son organisme. Son corps combattait la douleur par le sommeil.

Aaron, lui, avait eu beaucoup de mal à trouver le chemin des songes. Il était sorti la tête haute des évènements de la veille. Non seulement personne n'avait osé lui tenir tête, pas même le fameux groupe des cinq, mais en plus il avait arraché les aveux qu'il souhaitait de la bouche de Kilian, ce qui était pour lui sa principale victoire. Malgré cela, le jeune garçon brun peinait à s'endormir. Il avait passé une partie de la nuit en tailleur dans son lit, observant au clair de lune ses camarades de chambrée. Il ne comprenait pas comment le blondinet pouvait dormir profondément comme un nourrisson, replié sur lui-même en position fœtale comme si rien ne s'était passé. Le rebelle ne comprenait pas non plus pourquoi ses yeux le piquaient si fort. En fait, il ne cherchait pas vraiment à savoir. Tous des hypocrites. C'est la pensée qui traversait son esprit tandis qu'il posait son regard ici et là.

À peine eut-il réussi à trouver le sommeil qu'il fut tiré des bras de Morphée par la voix tonitruante et agressive de Basile, le moniteur attitré du groupe G4.

« Debout là-dedans ! Allez les garçons, vous allez être en retard pour le petit déjeuner ! »

Aaron ne fut pas le seul à avoir envie de balancer son oreiller à la tête du canadien. Il fut cependant le seul à le faire, ce qui lui valut de sacrées remontrances et ce qui déclencha le rire de Frank et de sa bande. Thomas, hésita de longues secondes, cherchant Aaron du regard afin d'obtenir l'autorisation de se marrer lui aussi. C'est qu'il trouvait très drôle la façon dont Basile utilisait des mots alambiqués de son patois natal, mots dont il ne comprenait de toute manière pas le sens. Il ne voulait cependant pas froisser son leader d'un rire déplacé.

« Bougez-vous les fesses, et le prochain qui se rebiffe, il est de plonge. »

Quand on connaissait l'appétit vorace de Jules et des soixante-dix-neuf autres vacanciers, on ne voulait certainement pas s'occuper de la vaisselle. La menace du moniteur porta ses fruits et tous se préparèrent pour le petit déjeuner en vitesse. En sortant de la chambre, Kilian détourna le regard afin de ne pas croiser celui d'Aaron. S'il avait digéré une partie des évènements de la veille, il ne voulait pas lui adresser la parole. Autant pour ce qu'il avait osé lui faire faire aux douches des filles que pour les aveux qu'il lui avait fait cracher.

« Les mômes, vous serez gentils de ne pas vous faire la gueule toute la journée. »

Basile était prévoyant. Il avait tout de suite remarqué le froid entre les deux adolescents. Il savait à quel point le groupe G4 était dur à gérer. Fred ne lui avait vraiment pas fait de cadeau en lui confiant la responsabilité de cette bande d'affreux garnements. À toutes les sorties, il avait droit aux chamailleries entre les jeunes garçons, quand ce n'était pas Jules qu'il fallait secourir.

Jules… Sacré Jules. Tour à tour une enclume en milieu marin, un piquet profondément fixé au sol sur un terrain puis une véritable tornade à table. Mais le vrai problème du jeune garçon, c'est qu'à part Kilian qui n'aurait pas fait de mal à une mouche, tous les membres du groupe G4 prenaient un malin plaisir à le tourmenter, à commencer par Thomas qui ne pouvait s'empêcher de lancer des remarques faciles, mais aussi et surtout Frank et ses copains qui étaient beaucoup plus vicieux dans leur manière de faire.

Ces tensions dépassaient quelque peu Basile qui préférait gérer de loin et ne pas se mêler aux histoires d'adolescents dont, après tout, il ne connaissait ni les tenants, ni les aboutissants. Il espérait surtout que l'après-midi « Karting » se passerait sans heurts.

Il fut en grande partie exaucé.

Il ne put certes pas empêcher Kilian et Aaron de se regarder en chiens de faïence pendant toute la durée de l'activité. La tension entre eux deux était palpable. Après s'être fuis toute la matinée pendant les activités libres, ils avaient bien été obligés de se retrouver au même endroit pour tâter le bitume. Aucun des deux ne voulait baisser la tête ni lâcher la moindre chose face à l'autre. Malgré la chaleur étouffante causée par un soleil de plomb, on aurait pu croire à un véritable orage tant les éclairs dans les yeux, le tonnerre dans les voix et l'électricité dans l'air étaient présents.

Kilian mit un point d'honneur à remporter la course qu'il disputa contre Aaron, en abusant de manœuvres dangereuses qui lui valurent une violente invective de la part du responsable. Suite à cette victoire, on entendit le seul véritable échange verbal de l'après-midi entre les deux garçons.

« T'es taré Kilian ! Refais-moi encore une fois ça, j'te fais bouffer ton casque ! », attaqua Aaron, réellement furieux, en attrapant Kilian par le col.

« Pour ça, faudrait que t'aies les mains libres » répondit du tac au tac le jeune blondinet.

Cette remarque acerbe déclencha un fou rire chez les jeunes garçons et valut même des applaudissements à Kilian, à la surprise des adultes et des filles qui ne comprenaient pas la référence. Aaron, mouché et vexé, serra la mâchoire et les poings et tourna les talons sans répliquer. De rage, il jeta ses gants au sol et shoota dedans.

À part cela, rien. Basile était content, le groupe G4 s'était bien comporté. Il pouvait respirer.

Du côté de Kilian, on ne pouvait cependant pas dire que l'après-midi fut bonne. À chaque fois que Léna voulait lui adresser la parole, il trouvait une excuse pour fuir. Il ne pouvait tout simplement pas la regarder en face. Il s'en voulait de l'avoir espionnée la veille. Il savait qu'il ne pouvait pas rejeter toute la faute sur Aaron. Après tout, si ce dernier l'avait amené à jouer les voyeurs, il n'avait pas obligé Kilian à regarder par le trou d'aération. Pour la première fois de sa courte vie, le blondinet s'était trouvé pervers. Ce n'était pas tant le fait d'avoir manqué de respect à la jeune fille qui le perturbait. C'était surtout le fait d'y avoir pris du plaisir. Il culpabilisait. Elle était si belle, si douce, si gentille avec lui. Il s'était toujours considéré différent des autres garçons, il réalisait qu'il était pareil qu'eux, et ce d'autant plus fort qu'Aaron en avait fait la démonstration la veille au soir.

Une fois ou deux, il regarda dans la direction de Léna, pour voir si elle ne s'approchait pas trop. Mais en la voyant, il ne pouvait s'empêcher d'imaginer son corps dénudé… Ses formes… L'eau qui coulait sur son dos et sur ses fesses. En pensant à ça, il voulait se mettre des baffes. Non, il souhaitait que Léna elle-même se fasse justice en le giflant en public, mais il ne pouvait malheureusement pas lui demander de le frapper sans raison et encore moins la lui expliquer.

« Tu ne devrais pas te prendre la tête comme ça à cause de ce qu'Aaron t'a fait faire, Kilian… »

Cette petite voix douce et timide, Kilian la connaissait mal. Il ne l'avait pour ainsi dire presque jamais entendue depuis le début du camp. Elle était la propriété de Lucas, le jeune adolescent frêle qui suivait toujours Aaron et Thomas sans un mot.

« J'voudrais t'y voir », répondit sèchement le blondinet. Mais déjà, Lucas s'était replongé dans son silence.

Ce qu'il aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant