54 - Séparation et retrouvailles

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Le problème quand on découvre qu'on aime bien quelque chose, c'est qu'on y prend vite goût, jusqu'à parfois en devenir accro. Certes, les quelques troubles que Kilian avait connus n'avaient pas fait du plaisir intime sa passion, mais rencontrer un certain démon brun au milieu de ses anges était presque devenu une habitude durant cette courte semaine. Toujours, il reprenait le même point de départ, l'épisode du gage dans les vestiaires. Puis il imaginait tout ce qui aurait pu se passer sans jamais avoir à l'accepter dans la réalité. Il ne savait pas pourquoi il se sentait obligé de penser à Aaron dans ces moments-là, mais ça lui faisait du bien. Comme personne ne lui donnait de réconfort, il n'avait d'autre choix que de s'en offrir lui-même.

Mais le jeune blondinet ne se sentait pas bien pour autant. À chaque fois qu'il finissait son affaire, la honte le rattrapait et allait jusqu'à lui donner mal au crâne. Un scientifique lui aurait sans doute expliqué que cette impression est simplement due à la baisse brutale des endorphines après l'orgasme, faisant passer le corps d'un état de plénitude à un état de manque en moins de temps qu'il n'en faut pour s'en rendre compte. Mais pour l'adolescent, la cause était toute autre. Même s'il ne croyait pas en Dieu plus que cela, il avait l'impression de commettre un péché à chaque fois que son esprit s'aventurait vers des horizons immoraux. Pire, il avait le sentiment d'être un salaud. Au-delà du simple fait d'imaginer des choses interdites qu'il n'aurait jamais osé faire pour de vrai et qui lui auraient immédiatement valu la désapprobation d'un père, le questionnement d'un frère, la condamnation d'un clerc et les moqueries d'un blair', il ne supportait pas l'idée de penser à quelqu'un d'autre que sa promise. Il aimait Alice, tout du moins, il essayait de s'en persuader. Mais jamais il n'avait pu penser à elle dans ces moments-là. Elle était trop fragile, trop belle, trop pure, trop innocente... Il ne pouvait s'imaginer la toucher, cela avait quelque chose de dérangeant. Et oser penser à une autre personne qu'elle, c'était comme la tromper. C'était elle que Kilian embrassait à l'abri des foudres de la Stricker, mais ce n'était malheureusement pas elle qui lui apportait le réconfort dont il avait besoin pour aller mieux.

L'adolescent se haïssait pour cela. Il se sentait sale. Plus que jamais, il avait l'impression d'être bien le fils de sa mère, ce qui le répugnait. Il la détestait tellement pour ce qu'elle avait fait à sa famille que l'idée même d'agir comme elle, ne fût-ce qu'en simple pensée, lui donnait envie de gerber.

Ce fut au parc municipal le samedi matin, assis sur un banc la tête baissée et les mains entre les cuisses pour les réchauffer qu'il décida en toute sincérité d'exprimer son mal-être à sa petite copine.

« Écoute Alice... Je t'aime bien mais... En ce moment, ça ne va pas fort. Ma famille, tout ça... Je suis désolé, mais je ne me sens pas dans mon état normal. J'ai l'impression que je n'arrive pas à m'occuper de toi, que je ne suis pas à fond dedans. J'ai pas envie de faire semblant avec toi, je t'apprécie trop pour ça. Ça rime plus à rien, j'en ai honte, j'te jure... S'il te plait, j'aimerais faire une pause, au moins le temps de régler mes problèmes. Si je ne peux pas être à cent pour cent à toi, alors mieux vaut ne pas l'être du tout... »

Ses yeux verts étaient chargés. Kilian ne pleurait pas encore, mais était au bord des larmes. Il savait que cela serait dur à encaisser pour sa copine, mais il n'avait pas le choix. Il n'en pouvait plus de culpabiliser, il avait besoin de retrouver sa liberté avant d'exploser en plein vol. Du regard, il supplia la demoiselle de le comprendre, d'accéder à sa demande. Une pause, ce n'était pas grand-chose, il en avait besoin, juste besoin. Mais Alice, elle, avait besoin qu'on la regarde, qu'on s'occupe d'elle, qu'on lui dise des « je t'aime » et qu'on lui lise des poèmes. À défaut, elle réinterprétait volontiers dans sa tête ceux qu'elle avait appris en classe.

« Demain, dès l'aube, à l'heure où tu trahis ta compagne, je te giflerai, vois-tu, je sais que tu m'comprends. Je pleurerai dans la forêt, je hurlerai dans la montagne, je ne puis accepter cette trahison de toi plus longtemps ! »

Ce qu'il aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant