43 - Souffrir et se taire

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Michel ne comprenait pas. Pourtant, finir troisième était vraiment une belle performance. Pourquoi donc le jeune blondinet qu'il raccompagnait chez lui en ce début de soirée humide semblait à ce point malheureux ? Quelle mouche avait bien pu le piquer pour que son visage soit à ce point figé, grimaçant et torturé ? Kilian n'était pourtant pas du genre à se lamenter après une défaite. Dans la voiture, l'adolescent ne desserra pas la mâchoire. Son résumé de la journée fut laconique. Victoire, victoire, victoire, victoire, défaite, victoire. Un robot ne se serait pas exprimé autrement. Même Martin ne comprenait pas son ami. Il s'était passé quelque chose, mais quoi ?

Arrivé devant la grille du pavillon familial, Kilian sortit de la voiture en baissant la tête, remercia son chauffeur pour la course et s'excusa auprès de son rouquin pour son comportement frigorifique. Il voulait tout dire à Martin, lui expliquer ce qu'il s'était passé, ce que Diego avait osé lui faire, lui demander de l'aide, des conseils, quelque chose... mais aucun mot ne voulait sortir de sa bouche. La honte était trop grande. Pas celle d'avoir pris du plaisir comme lorsque Aaron l'avait embrassé cet été. La honte d'avoir été sali, souillé, agressé, humilié. La honte aussi d'avoir repoussé son modèle, le héros de son club d'escrime, le chouchou de son maître d'armes... Kilian le savait, sa parole n'avait aucune valeur face à celle de Diego. Il ne pouvait même pas se plaindre. Il ne pouvait rien dire. À personne. C'était sa place au sein du club qui était en jeu. Personne ne devait savoir. Jamais. Il ne s'était rien passé.

Alors que Cédric l'attendait dans le salon, impatient d'apprendre ses résultats, le cadet monta directement dans sa chambre sans dire le moindre mot et sans lui adresser le moindre regard, s'enferma en tournant la clé à double tour dans la serrure puis enfin cria. Un long râle de désespoir, bruyant, rauque et puissant.

Crier, il n'y avait plus que ça. De rage, il jeta sur le sol tout ce qui trainait : cahiers, vêtements, draps, oreillers, peluches... Plus rien n'avait d'importance, plus rien n'avait de valeur. Il s'en foutait. Quand il ne trouva plus rien à projeter par terre, il se mit à shooter avec le pied dans tout ce qui trainait, jusqu'à hurler de douleur après avoir tapé sans le faire exprès le rebord du lit. Enfin, il se laissa tomber au sol contre le mur, la peluche en forme de koala que lui avait offerte Cédric dans les bras. Il chialait comme un gosse. La douleur était trop forte. Kilian n'avait rien demandé d'autre que de vivre sa vie avec l'innocence qui avait toujours été la sienne. Pourquoi fallait-il toujours que tout parte en couilles ? Pourquoi fallait-il toujours que les autres profitent de sa naïveté ? Ne pouvait-on pas simplement lui foutre la paix ? Certes, il était parfois immature. Il était même souvent énervant. Sa nonchalance, son aveuglement et son petit côté borné horripilaient bien du monde, aussi bien ses proches que certains anonymes qui s'amusaient discrètement à le voir évoluer et qui déploraient sa foutue bêtise qui frôlait l'acharnement. Mais il n'avait fait de mal à personne. Il n'avait jamais été méchant avec qui que ce soit. Il ne souhaitait qu'une chose, qu'on le laisse être lui-même.

« Kilian, ouvre cette porte ou je la défonce ! »

Cédric était sérieux. Alerté par le bruit provenant de la piaule de son petit frère, il avait accouru pour voir ce qu'il se passait. Mais face à la porte verrouillée, il était impuissant. Plus que d'habitude, il avait peur. Ce n'était pas la première fois que Kilian se cloitrait dans sa chambre pour pleurer. C'était par contre la première fois qu'il s'en prenait à ses propres affaires et qu'il s'enfermait de l'intérieur.

« Fous-moi la paix Cédric ! Je te déteste ! Je déteste tout le monde ! »

Le blondinet hurlait. Il ne voulait voir personne. Il souhaitait être seul avec lui-même. Qu'est ce que croyait Cédric ? Où était-il cette après midi quand Diego l'avait embrassé de force ? Où était-il quand Diego lui passait la main sous ses vêtements ? Où était-il quand Diego lui avait arraché son t-shirt ? C'était trop tard. Trop tard pour bien faire. Trop tard pour jouer les grands frères modèles.

Ce qu'il aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant