10. De la difficulté d'être un grand frère

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Cédric s'en était voulu d'avoir ainsi menti à son frère. Cela l'avait perturbé une bonne partie de la nuit. Bien sûr, il était content que Kilian passe du bon temps en vacances, mais il redoutait le moment où ce dernier reviendrait et se rendrait compte que sa famille était plus déchirée que jamais.

Dans ces moments-là, il avait besoin de parler. Malgré sa maturité impressionnante pour quelqu'un de son âge, il restait un jeune garçon de seize ans et demi. Certaines choses étaient bien trop lourdes à porter pour ses épaules juvéniles. Bien que ce ne fût pas prévu, il téléphona à Sandra tôt le matin.

« Coucou ma chérie, c'est ton Cédinou. Dis, tu ne veux pas qu'on se voie aujourd'hui ? »

« Euh, tu me prends de court là, j'avais prévu de traîner avec des copines… Tu sais, on devait aller se voir un film, la dernière comédie romantique qui vient de sortir… »

« Je sais… j'ai juste besoin de parler »

Un silence de plusieurs secondes s'établit entre les deux. Le ton de Cédric était franc et direct. Presque autoritaire. Sandra se sentait gênée. D'un côté, elle désirait vraiment aller voir son film entre copines. Non pas pour le jeu très approximatif des acteurs et l'histoire écrite un peu trop vite un soir un peu trop arrosé, mais juste parce qu'elle était friande de ces scénarios à l'eau de rose et surtout parce qu'elle adorait passer du temps avec ses copines. De l'autre côté, elle aimait Cédric et savait que lorsqu'il prenait ce ton, c'est que quelque chose n'allait pas.

« C'est à propos de tes parents, c'est ça ? »

« Oui. »

Cédric se retenait de fondre en larmes au téléphone, ce qui n'empêcha pas sa réponse de passer pour un gémissement.

« Ok, quatorze heures dans le parc ».

D'un ton agacé, Sandra avait sacrifié son après-midi entre filles. Elle raccrocha séchement, ce qui n'était pas dans ses habitudes. Cédric ne réagit pas. Il avait conscience d'abuser de la gentillesse de sa copine. Il était juste soulagé qu'elle ait accepté.

À quatorze heures précises, Cédric descendit de son bus qui s'arrêtait à l'entrée du parc. Il pouvait apercevoir Sandra à une centaine de mètres à peine, assise sur un banc. Leur banc. Celui-là même où il lui avait demandé si elle voulait bien sortir avec lui. Cédric marcha lentement pour la rejoindre, ce qui lui laissa tout le temps nécessaire afin de l'observer. Sandra avait comme à son habitude ses cheveux attachés. Elle portait un débardeur noir et un jogging gris en toile légère. Elle n'était pas accoutrée pour un rendez-vous galant. Au contraire, elle semblait sortir d'une séance d'entrainement. Malgré un visage sévère et un teint pâle, Cédric la trouvait particulièrement jolie. Le simple fait qu'elle soit là lui apportait une grande satisfaction. Arrivé à sa hauteur, il s'assit à côté d'elle sans dire un mot.

« Tes parents continuent de se disputer ? »

« Oui… »

Sandra ne voulait pas perdre de temps en amabilité. Elle savait pourquoi elle était là. Cela faisait partie du jeu et elle l'acceptait. « Ne sors pas avec quelqu'un si c'est pour le fuir quand il a vraiment besoin de toi », c'est comme ça qu'elle voyait les choses.

« Tu sais Cédric… À un moment, il va falloir que tu affrontes ton père, que tu lui dises ses quatre vérités. C'est pas normal que tu le laisses te taper, et plus encore devant ton p'tit frère… »

Si le jeune homme aimait tant Sandra, c'était en grande partie pour son côté rentre-dedans et sincère. Elle ne prenait jamais de pincettes et n'usait pas de sous-entendus. Les choses étaient dites, posées sur la table. Dans ces moments-là, Cédric ne pouvait pas fuir. Il combattait ainsi une certaine lâcheté en se plaçant sous le joug d'une personne qui le poussait à regarder les choses en face.

Ce qu'il aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant