55. Les questions sans réponse de Kilian

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« Décembre, tes jours se font bien plus courts

Décembre, qu'as-tu fait de mes amours ?

Le froid glace mon être, fige mes entrailles

Où donc voudrais-tu qu'au final, j'aille ?

Ta nature infernale se révolte

et moi sous le joug d'un tel despote

Je cherche la réponse à cette simple question

L'ai-je toujours aimé ? J'en perds la raison ! »


Certaines rimes étaient faibles, la métrique mal maitrisée et les métaphores limitées, mais pour un collégien, ce travail qui sortait du cœur était tout à fait acceptable. C'est ainsi que Kilian obtint un très correct quatorze pour ce devoir improvisé en plein milieu d'un lundi après-midi. Son poème, il l'avait écrit en regardant par la fenêtre, d'un jet, sans réfléchir ou presque. Il n'avait fait que coucher sur le papier ce qu'il ressentait.

Il se fit naturellement disputer pour cette faute évidente qui n'en était pourtant pas une. Le participe passé conjugué avec l'auxiliaire avoir s'accorde toujours avec le C.O.D quand celui-ci est placé avant le verbe, ne l'avait-il pas appris en primaire ? Si, bien sûr. Ce qu'il n'avait pas appris étant enfant, par contre, c'est qu'on peut aimer autre chose que ce à quoi notre sexe nous prédispose. On ne le lui avait jamais signalé, il le découvrait pas à pas sans pour autant en faire une science. C'était donc bien normal qu'il se pose la question. Mais expliquer à sa prof qu'elle se trompait dans sa correction n'était certainement pas une bonne idée. Kilian laissa couler, et accepta sans rechigner le « e » inscrit en rouge sur sa copie derrière le mot « aimé ». Personne en lisant ses vers ne connaitrait donc le fond véritable de sa pensée.

Le soir, de retour chez lui, il eut l'agréable surprise de voir qu'un goûter de roi l'attendait. Chocolat chaud, tartines de Nutella, jus de fruits fraichement pressés et un yaourt nature avec des vrais morceaux de banane dedans, coupés minute. La dernière fois que Cédric lui avait préparé un tel festin, il était en cinquième. Même si l'adolescent n'était plus un enfant qu'on gave pour s'assurer qu'il n'ait pas faim, cette petite attention à son égard lui fit on ne peut plus plaisir. C'était le signe que Sandra avait tenu parole et qu'elle avait accordé une nouvelle chance à son grand frère. Sinon, pourquoi ce dernier l'aurait-il tant gâté ?

L'ainé lui confirma sa situation nouvelle d'un léger bisou dans le cou et d'une caresse dans les cheveux. Les parents n'étant pas là ce soir, les deux garçons avaient la maison pour eux. Ils passèrent la soirée à discuter. Du collège, du lycée, des filles, de l'amour, de Sandra... Le plus grand des deux finit par craquer, en larmes dans les bras de son cadet.

« Tu sais Kili... Sandra m'a raconté ce que tu as fait pour moi, en allant la voir. Je... Je t'aime petit frère. J'ai toujours cru que, comme j'étais l'ainé, je devais être là pour toi, que je devais te protéger. Je ne m'étais même pas rendu compte que c'était toi qui étais là pour moi et qui me protégeais. Je suis désolé d'avoir été aussi nul ces dernières semaines. Je te jure de me battre pour nous deux. Je ne laisserai plus papa te gifler, jamais, je te le promets ! »

Quand Kilian reçut sa méchante baffe, Cédric était depuis plus d'une heure enfermé dans sa chambre, la tête sous son oreiller. Le benjamin était certain que son ainé ne savait pas quel geste avait eu son père ce soir-là. Avait-il entendu ? Ou bien deviné ? Son paternel avait-il parlé ? Le collégien ne voulut pas savoir. À son tour il laissa s'échapper quelques larmes en serrant Cédric contre lui.

Ce qu'il aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant