44. On a tous besoin de réconfort

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Martin ne reconnaissait pas son ami. Kilian avait passé le dimanche à faire la gueule. Pour la première fois de sa vie, le rouquin avait trouvé désagréable de battre le blondinet aux jeux vidéo. Et toujours ce silence pesant à propos des évènements de la veille. À chaque fois que Martin lui demandait ce qu'il s'était passé, Kilian répondait la même chose :

« Fous-moi la paix ! Vous me faites tous chier ! Toi, Aaron et les autres... Tous chier ! »

Le lundi, ce ne fut pas qu'avec son meilleur ami que Kilian fut exécrable. Même Yun-ah, enfin remise de ses premières menstruations, en fit l'amère expérience. L'adolescent récolta dans son carnet plus de mots à cause de son mauvais comportement en un jour que depuis le début du collège. « Insulte ses camarades », « répond à ses professeurs », « dégrade le matériel »... Madame Stricker s'en donnait à cœur joie. Elle n'avait jamais eu autant l'occasion de coller le jeune garçon qu'en ce début de semaine. Dans sa grande bonté, et voyant qu'il y avait sans doute quelque chose de plus profond derrière ce comportement inédit, elle commua les six heures de retenue qu'il avait gagnées en deux heures de travail d'intérêt général. Kilian s'excusa en larmes pour ses bêtises et remercia sa surveillante pour sa mansuétude.

Le mardi matin, comme il ne pouvait plus passer ses nerfs sur les autres, il choisit de se taire et de n'adresser la parole à aucun de ses camarades, à l'exception de Martin et de Yun-ah auprès de qui il avait fait amende honorable dès la première heure des cours. C'était d'ailleurs par une leçon de géographie qu'avait commencé la journée. Monsieur Buissière tâchait d'enseigner tant bien que mal les particularités des paysages à l'ouest de l'Oural. Mais devant le désordre ambiant dans sa classe, causé par l'agitation de ses jeunes élèves qui n'arrivaient pas à prendre de notes et qui lui avaient demandé de parler moins vite, il avait ordonné :

« Vous n'arrivez pas à réfléchir et à écrire en même temps ? Vous n'êtes pas capables de faire la différence entre mes explications et ce que vous devez noter ? Très bien, je vais vous faire la dictée alors ! Écrivez ! Dans les forêts de l'Oural, on trouve de nombreux animaux. Ours, cerfs, sangliers, lutins, schtroumpfs... »

Il n'en pouvait plus de ces collégiens incapables de réfléchir n'étant que de bêtes machines qui ne s'intéressaient pas à son cours mais préféraient apprendre par cœur ce qu'on leur demandait d'écrire. Il espérait qu'au moins l'ironie aiderait à faire passer le message. C'était malheureusement bien mal connaitre Magali...

« Monsieur, ça s'écrit comment schtroumpfs ? »

Alors que la classe éclatait de rire, Hervé écarquilla les yeux. Lui aussi avait envie de s'esclaffer, fût-ce par dépit plus que par humour. Mais il ne pouvait pas, en tant que professeur, se montrer trop désagréable. Au moins se disait-il que dans son malheur, il restait chanceux. Il était fonctionnaire, la retraite n'était fatalement pas si loin... Et puis ça lui ferait quelque chose à raconter en salle des profs. On s'amuse tellement en salle des profs...

Chez les élèves, le groupe des fraicheurs s'organisa pour récupérer la bourde de son leader. Il fallait à tout prix faire croire aux autres qu'elle n'était pas aussi stupide que ça et que ce qu'elle avait voulu faire, c'était de l'humour... Voyons ! Ce fut sans effet notoire. Le midi au réfectoire, la bourde de la blondasse était le principal sujet de conversation. Pour éviter qu'on ne lui fasse des remarques, Aaron prit les devants :

« Franchement, j'ai quand même bien fait de la jeter... Nos bulletins scolaires étaient fortement incompatibles. De toute façon avec elle, les greffes d'intelligence n'ont aucune chance de prendre ! Je ne pouvais rien faire pour l'aider ! »

Il s'était installé à la table de Kilian, Martin et Yun-ah et avait tout de suite été rejoint par Adrien, Victor et Matthieu. Autant dire que l'ambiance était électrique dans la grande cantine éclairée par des néons blancs. Et le mauvais goût de la nourriture n'arrangeait rien à l'affaire. C'était une rencontre au sommet des plus improbables. Aaron voulait peut-être se rapprocher de Kilian, Adrien voulait sans doute se payer Aaron. Il lui avait fallu un peu de temps pour digérer son humiliation de la dernière fois. Mais la vengeance est un plat qui se mange froid. Sur le plan intellectuel, il ne pouvait pas attaquer son adversaire qui le dominait sans problème. Il n'avait pas les ressources cognitives pour le faire vaciller, il le savait, et devoir l'admettre le dégoutait. Il fallait être fourbe. Cela tombait particulièrement bien, il l'était plus que tous les autres collégiens réunis !

Ce qu'il aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant