31. Le nouveau

475 65 36
                                    

« Bien, je vais maintenant vous distribuer vos emplois du temps. Comme vous le savez déjà, les cours commencent à huit heures pour se finir à seize heures trente. Vous avez une heure et demie pour manger le midi. Le mercredi, juste après mon cours, vous avez la demi-heure de vie de classe, afin que nous puissions échanger tous ensemble. Si vous avez le moindre problème, n'hésitez pas à venir m'en parler. Cette année est très importante. Plus que le brevet, c'est le choix de votre orientation future qui compte. Bref, au boulot ! »

Monsieur Bruissière n'en était pas à sa première rentrée. L'exercice, il le connaissait par cœur. Il aimait être professeur principal en classe de troisième. En poussant les jeunes à postuler dans de bons lycées, il se sentait utile. Bien plus que lorsqu'il faisait la classe à des petits de sixième et qu'il avait l'impression d'être une nounou plus qu'un professeur d'histoire.

Ses élèves, il les connaissait presque tous. Il les avait déjà eus en cinquième. Il en avait gardé un bon souvenir. Comme tous les profs, le plus beau cadeau qu'on pouvait lui faire était tout simplement d'écouter ses cours et de participer en classe. Et avec cette génération, il était comblé. On lui servait sur un plateau deux des élèves les plus brillants qu'il avait pu rencontrer au cours de sa longue carrière. La pétillante Yun-ah, indéboulonnable première de la classe et l'austère mais cultivé Adrien, éternel second.

Pour Hervé Bruissière, Adrien était avant tout un jeune garçon sérieux, travailleur et curieux. Il posait de nombreuses questions et avait un sens critique très aiguisé pour quelqu'un de son âge. Il lui semblait promis à de grandes études, il ne restait plus qu'à débloquer son potentiel pour le voir vraiment briller. C'était son élève préféré.

Pour Kilian, Adrien était une véritable teigne. Aussi intelligent qu'orgueilleux, aussi cultivé que manipulateur et surtout aussi brillant scolairement qu'obscur au niveau de ses idées et convictions. Adrien n'était pas cruel comme pouvait l'être Frank de la colonie de vacances. Non, il était beaucoup trop malin pour ça, beaucoup trop subtil pour s'abaisser à faire chier les autres de manière frontale. Tous ses coups, il les faisait en douce. Il n'aurait jamais brutalisé frontalement quelqu'un. Il préférait taper peu, mais taper là où il fallait pour détruire sa cible à tous les coups. Les professeurs l'adoraient. Kilian, qui avait depuis bien longtemps saisi sa personnalité, le détestait. Les autres le craignaient et préféraient toujours faire ce qu'il fallait pour ne pas s'attirer son inimitié.

Mais tandis que le professeur d'histoire s'asseyait à son bureau, tâtant sa poche pour voir s'il n'avait pas oublié chez lui son tabac à rouler et tandis que tous les élèves découvraient leur emploi du temps, avec joie pour certains et résignation pour d'autres, Kilian, lui, restait impassible, immobile, le teint pâle et les poings fermés. Ni Martin, ni Yun-ah n'avaient réussi à lui faire desserrer la mâchoire. Il aurait préféré une armée de Frank, de Thomas, d'Adrien voire même tous les salauds du monde plutôt que ça. Plutôt que lui.

Au fond de la classe, le nouveau s'était plongé dans son planning. Comme il avait choisi l'option Latin, il finissait tous les jours à seize heures trente là où certains de ses camarades avaient la chance de sortir une heure plus tôt. Cela ne le dérangeait pas, il avait toujours soif d'apprendre. Pour lui, la culture était une arme aussi aiguisée que l'intelligence. Il ne venait pas dans ce collège pour faire de la figuration. Après des années à bouger à gauche et à droite avec ses parents – son père étant diplomate -, le jeune garçon s'était posé aux abords du Rhône depuis l'année dernière. Il avait fini dans un collège qui ne le satisfaisait pas et avait tout fait pour être accepté à Voltaire, le meilleur établissement de la région. Il ne cherchait pas à se faire des amis. Fataliste, il savait qu'il s'en ferait peu, mais qu'il trouverait bien une ou deux personnes un peu plus intelligentes que la moyenne pour sympathiser. Et cela lui suffisait amplement.

Ce qu'il aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant