75. Fugue et famille

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« C'est horrible Cédric, Kilian a disparu ! Il a profité que j'aille acheter à manger pour prendre la poudre d'escampette. Il faut faire quelque chose ! »

À l'autre bout du fil, le lycéen tremblait. Ce n'était pas la première fugue du blondinet, mais les précédentes avaient toujours été justifiées par un choc immédiat et n'avaient pas duré. Là, tout semblait indiquer qu'il y avait préméditation. Surtout, s'enfuir de chez sa tante n'était en rien rationnel. Elle s'occupait de lui et le dorlotait comme il le fallait. Cédric raccrocha et appela Michel, pour s'assurer que son petit frère n'était pas parti chez son meilleur ami, puis chez Aaron, où une Catherine paniquée décrocha.

« Cédric ? J'allais vous appeler ! Aaron a disparu tout à l'heure. Il a pris des provisions avec lui, c'est une catastrophe ! Je ne peux pas l'imaginer tout seul dehors à cette heure ! Mon époux est un idiot, il n'aurait jamais dû s'opposer à cette histoire, ils sont si jeunes et Kilian si adorable... »

Le doute n'était plus permis. Deux jeunes amoureux étaient seuls dans la nature en une froide nuit pluvieuse de cette fin du mois de mars. Une seule chose soulageait Cédric, savoir que son imbécile de frère n'avait pas fui seul. Mais c'était une bien maigre consolation à côté du stress engendré par cette disparition.

Devant le sérieux de la situation, tous les proches, voisins et amis des deux garnements se mirent à leur recherche, aidés par la police de proximité. Mais la tempête qui faisait rage rendait la traque des plus compliquées. Passé minuit et sans aucun indice à propos de l'endroit où les deux affreux pouvaient bien se cacher, le caporal-chef Brunel renvoya ses hommes à la maison et conseilla aux familles de ne pas trop s'inquiéter. Tout indiquait que les deux garçons avaient fugué et il était donc très improbable qu'il leur soit arrivé quelque chose de grave. Tout au plus risquaient-ils une bonne sinusite à cause du temps de chien dehors.

Quand à une heure du matin Cédric poussa la porte du salon, il vit affalé dans le canapé son père qui n'avait pas bougé d'un pouce. La rage monta en lui à la vue de cet homme pathétique un verre de scotch à la main.

« Alors mon grand, on cherche son petit bâtard de frère ? Tu as pensé au fucking blue boy ? Le bar gay de la ville ? Il parait qu'il n'y a pas meilleur endroit pour se faire enfiler dans toute la région, il y est peut-être. »

L'alcool n'excusait pas tout, et certainement pas cette méchanceté gratuite. Lui faisant admirablement face, le lycéen répondit :

« Tu sais quoi ? Là, j'ai l'impression de voir sa mère ! »

François se leva d'un seul coup et l'attrapa par le col, laissant par la même occasion tomber son verre qui éclata en mille morceaux sur le parquet, dans une gerbe de liquide orangé.

« Ne me redis jamais ça petit merdeux ! Cette femme a tout gâché. J'ai tout donné pour elle, mais elle s'en est toujours foutue. C'est une pauvre alcoolique qui n'a jamais aimé personne d'autre qu'elle-même. Toi et Kilian méritiez tellement mieux ! »

Sans sourciller, Cédric répondit avec un flegme très provoquant.

« C'est bien ce que je dis, vous êtes les mêmes. Tu n'as même pas conscience de ton état. T'as tellement honte de toi que tu noies ton chagrin dans la boisson, comme elle. T'es juste pitoyable. Tout ça, c'est ta faute. En rejetant Kili, tu t'es pas débarrassé d'un fils, t'en as perdu deux ! »

La gifle vola d'un seul coup, sifflante autant que percutante. Le garçon aux cheveux châtains manqua de chuter avant de se redresser et de ricaner :

« Même ça, tu ne sais pas faire. Même ma copine frappe plus fort que toi ! Tu es ridicule p'pa, tu me fais honte. J'ai plus peur de toi, tu entends ! La vérité, c'est que tu n'es qu'un minable ! Tu l'as toujours été, même, à croire que ton fric pouvait tout acheter, même l'affection de tes gosses. Mais tu te plantes, moi, j'ai toujours vu la vérité dans ton regard. Ce côté pitoyable du mec qui ne maitrise rien. T'as même pas de vrais amis. Ton meilleur pote est un connard qui se tape ta femme depuis quinze ans par intermittence, mais t'as jamais eu les couilles de faire quoi que ce soit. Tout le monde te déteste. Le seul qui te respectait pour autre chose que l'apparence, qui arrivait à trouver du bon en toi malgré les gifles et les humiliations, c'était Kili, mais t'as toujours été trop aveugle pour t'en rendre compte. Tu veux te battre ? Vas-y, te gêne pas, cogne ! »

Ce qu'il aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant