Après sa punition, Kilian passa sa dernière après-midi de novembre à l'escrime, puis, vers dix-huit heures, il courut chez lui pour se préparer. La soirée d'anniversaire de Matthieu commençait à dix-neuf heures et finissait au retour de ses parents, à vingt-trois heures trente. Comme le délégué habitait à deux rues de là, il avait été convenu que le blondinet irait et rentrerait seul, avec l'obligation d'être de retour chez lui au plus tard à vingt-trois heures quarante-cinq, sans quoi il subirait les foudres de son père.
Tout dégoulinant de sueur après ses efforts sportifs, Kilian prit une longue douche tiède. L'hiver approchait et s'il n'était plus question de risquer d'attraper froid à cause de son goût pour l'eau glacée, il se refusait toujours à tout excès de chaleur. Il aimait que le jet frisquet fortifie son jeune corps d'adolescent. S'il voulait avoir chaud, il n'avait qu'à courir.
Puis il coiffa méticuleusement sa crinière blonde. Il était allé chez le coiffeur quelques jours auparavant, mais ne s'était fait couper que deux ou trois centimètres. Il ne voulait pas que son cou se retrouve dénudé. Il aimait trop ses petites bouclettes pour accepter de les voir disparaitre.
Au niveau des vêtements, il resta fidèle à lui-même. Un jean bleu ciel, des converses rouges et une chemise verte à la coupe des plus « minet » dont il laissait ouverts trois boutons au niveau du col. En se regardant dans la glace, il se trouvait presque sexy. Le tigron devenait un vrai mâle, et cela ne lui déplaisait pas.
Son frère lui ayant enseigné le principe du quart d'heure de politesse, il arriva chez son camarade à dix-neuf heures quinze précises. Les jeunes collégiens ignorant bien souvent les règles de bienséance, beaucoup de jeunes voraces s'étaient déjà jetés sur le buffet froid et les jus de fruits posés sur la grande table du salon, en attendant l'arrivée imminente des pizzas.
Matthieu vivait avec ses parents, son chat et sa petite sœur de trois ans sa cadette dans un luxueux appartement de cent soixante-cinq mètres carrés sur un seul niveau, dont le salon-salle à manger monopolisait plus du tiers de l'espace. C'était dans la grande pièce à vivre qu'avait lieu la soirée. Presque tous les élèves de la classe étaient là, ainsi que quelques rares amis en dehors du collège. Ce n'était pas que le délégué n'avait pas de vie sociale à l'extérieur de l'établissement Voltaire, c'est juste qu'il veillait toujours à ce que personne ne s'ennuie et préférait donc ne pas trop mélanger des personnes qui ne se connaissaient pas. Cette fête était avant tout pour ses camarades de classe, il en avait déjà prévu une autre plus tard dans l'année pour ses autres connaissances.
Kilian, dès son arrivée, se vit gratifié par son hôte d'une bise inattendue. En temps normal, aucun garçon ne se permettait ce genre de familiarité au collège. « Non, parce que quand même, ça fait un peu tapette hein, et que devant les filles et les copains, ça l'fait pas ! » Cela surprit et gêna légèrement le blondinet qui répondit cependant lui aussi par un discret baiser.
« Salut Kil, on n'attendait plus que toi ! Mes parents viennent de partir, et normalement, mon cousin va arriver avec de l'alcool. Mais faudra tout virer avant que mes vieux ne rentrent hein ! J'risque gros si on se fait prendre ! »
L'adolescent passa timidement le palier et chercha du regard ses amis. Près du buffet, il aperçut Martin dans une chemisette rayée qui faisait ressortir ses nombreuses taches de rousseur sur les bras. Juste à côté de lui, Yun-ah portait la couleur du deuil. T-shirt noir à manches longues, jean noir, chaussures noires, cheveux noirs et surtout, regard noir. Même si elle avait reçu en bonne et due forme les excuses qu'elle réclamait avec acharnement, elle avait la rancune tenace et comptait bien le faire comprendre à ses camarades.
Sur le balcon, les fraicheurs prenaient l'air, s'échangeant une misérable clope de bec en bec. Elles détestaient le tabac, le goût était atroce et la fumée les faisait tousser. Mais elles n'avaient pas le choix. Tous les lycéens branchés fument, c'est bien connu. Elles devaient donc se préparer pour l'année prochaine quand enfin elles seraient grandes. Kilian trouvait leur attitude aussi stupide qu'utopique. On voyait bien à leur regard bovin que le lycée n'était pas fait pour elles. Il n'avait rien contre les esthéticiennes ni contre les coiffeuses, mais il avait bien du mal à imaginer Magali ailleurs qu'en CAP à se refaire les ongles. Comprendre qu'il serait probablement séparé à la rentrée prochaine de cette bande de greluches à laquelle il s'était quand même attaché - comme certains fermiers peuvent s'attacher à des animaux destinés à l'abattoir - lui serra le cœur. L'espace de trois secondes. Le temps qu'il lui fallut pour poser ses yeux sur Alice.
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Ce qu'il aimait
Teen FictionUne histoire d'identité, de construction, celle de deux frères. Kilian, 14 ans, et Cédric, 16 ans. Dans un contexte familial tendu, Cédric s'occupe de son petit frère, un bonhomme fragile et sincère, qui va découvrir qui il est au fur et à mesure de...