38. Si seulement nous pouvions nous parler

397 59 20
                                    

Tandis qu'Aaron était des plus joyeux, Kilian passa la journée du vendredi renfermé sur lui-même à la grande surprise de ses professeurs. Même en math, lui qui était pourtant si enclin à donner toutes les réponses avant qu'on ne les lui demande ne leva pas la main. Le jouvenceau angoissait dans l'attente du fameux gage. Mais rien ne vint ce jour-là. Aaron, trop occupé à caresser les fesses de sa greluche, n'était pas allé réclamer son dû. Ses seuls mots à propos du pari furent pour Adrien, à qui il annonça que l'affaire était dans la poche déjà depuis le week-end dernier, qu'il avait juste attendu le bon moment pour embrasser en public la reine des fraicheurs et qu'il allait passer les deux prochains jours avec elle. En amoureux.

Kilian passa de son côté son samedi à encourager le temps d'une compétition le grand Diego qui se qualifia sans mal pour l'étape suivante. Son dimanche fut consacré à deux activités : dormir et jouer au dernier jeu à la mode que Martin venait de s'offrir. Ce faisant, il profitait au maximum du répit que lui accordait son cher tortionnaire.

Le lundi, il ne se passa rien. Et quand mardi soir, l'adolescent se coucha dans son lit, il se mit à penser qu'Aaron avait peut-être fini par oublier cette histoire de gage stupide et qu'il se prenait vraiment la tête pour rien.

C'est au moment même où il sentait que le marchand de sable venait de passer que son téléphone vibra sur la table de nuit. Kilian avait pour habitude de toujours le laisser branché, au cas où son frère chercherait à le joindre. Fût-il dans la pièce adjacente.

Les yeux pâteux, il eut du mal à déchiffrer le message qui s'affichait sur son écran. Le numéro lui était inconnu. Il ne mit cependant pas longtemps à comprendre qui en était l'expéditeur.

« Kilian, tu me dois un gage. Ce gage, c'est une discussion avec moi. Demain mercredi après le cours d'histoire, dans la même salle que la dernière fois. Aa. »

Le jeune brun signait toujours des deux premières lettres de son prénom qui étaient aussi ses initiales. C'était là la preuve que Kilian avait bien à faire à son tourmenteur. Sachant qu'en début d'année, une liste avec les numéros de téléphone avait circulé suite à la proposition de Matthieu, le délégué, il n'y avait rien d'étonnant à ce qu'Aaron connaisse son portable.

Alors que le téléphone volait à travers sa chambre, l'adolescent lâcha un simple mot. Le mot de Cambronne. Il ne connaissait pas Cambronne, mais il connaissait bien le mot.

« Merde ».

À quatorze ans, on a souvent un sens de l'honneur très développé. Même si ça ne l'enchantait guère, Kilian s'était fait une raison. Un pari est un pari. Il l'avait perdu, Aaron l'avait remporté en embrassant la plus belle fille du collège. Au moins, le gage lui semblait honnête. Une simple discussion, ce n'était pas grand-chose. Cette fois-ci, il ne risquait pas de se faire embrasser par surprise. Il ne se laisserait de toute manière pas faire. Et puis, une discussion, cela pouvait être utile. Il pourrait ainsi dire à son camarade tout le mal qu'il pensait de lui. Aaron n'allait pas être déçu.

À peine le cours d'histoire terminé, le plus jeune des deux sortit en trombe de la classe, suivi par son camarade aux cheveux dorés. Quand Kilian poussa la porte de la salle abandonnée, Aaron l'attendait assis sur une table les bras croisés.

« Ça me fait plaisir que tu sois venu. J'avais vraiment peur que tu te défiles. »

Le jeune brun était sérieux. La présence du blondinet le soulageait vraiment. Ce dernier marcha sans but dans la classe avant de s'asseoir sur une chaise libre, à bonne distance de son camarade.

« Qu'est-ce que tu me veux Aaron ? Accouche, tu as cinq minutes. Et ne t'avise pas de vouloir me faire faire quoi que ce soit. Je suis venu donc ça me libère du gage que je te dois. Je t'écoute et je me casse. »

Kilian savait qu'il avait intérêt à marquer son territoire au plus tôt pour ne pas se faire une nouvelle fois avoir. Se levant et s'approchant de lui, Aaron tenta d'apaiser la situation.

« Calme-toi Kilian, je veux juste discuter avec toi. Mets-toi dans le crâne que je ne veux pas te faire de mal. À chaque fois que je dis ou fais quelque chose, tu pars au quart de tour. C'est chiant là. »

« Hein ? C'est moi qui suis chiant ? Nan, mélange pas tout, c'est toi qui te comportes comme un connard ! Quand on sort avec une meuf sans être amoureux, c'est qu'on est qu'un sale hypocrite de merde. »

La colère de Kilian était sincère. Même si son visage ne le montrait pas, dire à Aaron ses quatre vérités lui faisait un bien fou. Le jeune brun prit une chaise qui trainait, la posa à quelques centimètres du jeune blondinet et s'assit à califourchon dessus. Très calmement, il expliqua :

« Tu as raison Kilian. Et c'est parce que toi, tu comprends ces choses-là que je voulais que tu sois le premier à savoir que j'avais cassé hier avec Magali. Je suis sorti avec elle pour faire chier Adrien. Mais elle a beau être bien gentille, je serais devenu fou si j'avais continué un jour de plus avec elle. Je voulais montrer à cet enfoiré que ce n'est pas dur de sortir avec une fille. Une fois que t'as compris que la seule chose qu'elles veulent, c'est être au centre de l'attention et que tu t'occupes d'elles, et que tu sais comment t'y prendre, ça passe tout seul. »

L'adolescent avait le regard fermé et les muscles tendus. Il n'aimait pas les relations non sincères. S'il s'était séparé de sa petite copine, c'était pour les mêmes raisons que celles qui avaient poussé Kilian à se détourner de Léna. Pourtant, le blondinet ne l'entendait pas de cette oreille. Les joues brulantes, il laissa exploser sa colère :

« T'as pas le droit de parler comme ça des autres ! Les filles sont pas comme tu l'dis. Tu t'inventes un monde pour justifier ton comportement de merde. Mais elles sont pas connes. Maintenant qu'elles ont vu de quoi tu es capable, pas une ne voudra plus sortir avec toi ! Pas une ! »

Marquant un instant de pause tandis que ses yeux commençaient à se remplir de larmes, il reprit :

« Et moi, je suis quoi à tes yeux ? Une fille comme les autres ? C'est ça ? Ça te fait marrer ? »

Alors que le blondinet ne cachait même plus ses gémissements, Aaron fit tout ce qu'il pouvait pour retenir les siens. Les yeux brulants, il déglutit bruyamment à plusieurs reprises et se mordilla la lèvre nerveusement avant de se lever, d'envoyer valser sa chaise et de pointer Kilian de l'index. Mais aucun mot ne put sortir de sa bouche. Comme pour le défier, son camarade se leva à son tour et le fixa droit dans les yeux à quelques centimètres à peine de son visage. Mais avant même que le blondinet n'ait eu le temps de comprendre ce qu'il se passait, le brun lui déposa un léger baiser sur les lèvres.

Ce baiser était complètement différent de celui du camp. Cette fois-ci, Aaron ne forçait rien. C'était juste une caresse fugace lèvres contre lèvres qui ne dura pas cinq secondes. Sans haine ni violence. Juste un baiser.

Et à la différence du camp, Kilian ne se laissa pas aller. À peine son agresseur s'était-il reculé qu'il le repoussa violemment jusqu'à le faire tomber à la renverse et manqua de lui faire mal. En sanglots, il éclata :

« DÉGAGE ! Fous-moi la paix Aaron ! T'es qu'un hypocrite, je déteste les mecs comme toi qui racontent que de la merde sur les gens. Les filles sont pas comme tu le dis, et moi.... Et moi... Je rentrerai pas dans ton petit jeu de merde ! »

Alors qu'il retenait toujours ses propres larmes, Aaron se redressa et leva la tête. Sans un mot, il tourna le dos à Kilian. Juste après avoir franchi la porte, alors qu'il en tenait toujours le battant de la main gauche, il se retourna en direction de la triste madeleine.

« J'ai raison et je vais te le prouver Kilian. Tu crois que les filles de la classe ne voudront plus sortir avec moi parce que j'ai jeté Magali ? Je vais sortir avec une fille de la classe par mois jusqu'à ce que tu admettes que tu t'es trompé. »

Kilian ne répondit pas. Ses grimaces l'empêchaient de prononcer le moindre mot. Il voulait juste qu'Aaron s'en aille. C'est ce que ce dernier fit, non sans glisser dans le couloir une dernière phrase qui n'arriva jamais aux oreilles de son destinataire.

« Tu fais chier à rien vouloir comprendre, tu fais vraiment chier... »

À l'escrime, Kilian se laissa longuement masser par Diego. Il n'en avait pas envie, il voulait juste faire plaisir à son modèle. Quitte à être le jouet de quelqu'un, autant être le jouet d'une personne qu'il admirait.

Ce qu'il aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant