76. La traque

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Comme tous les matins, Joséphine Stricker s'était levée à l'aurore. Une dure journée l'attendait. Mais cette fois-ci, pas de paperasse, de problème de collégiens ou de dégradation de matériel au programme. Il y avait bien plus important à faire : mettre la main sur les deux petits fuyards.

C'était une question d'honneur autant que d'éthique. Même si elle aimait jouer le rôle du terrible dragon, la vieille surveillante avait une affection sans borne pour ses élèves. Le plus dur était de ne jamais le montrer, afin qu'ils aient toujours du respect pour elle. Ce n'était pas de la vanité mais de l'éducation. Elle ne pensait qu'à leur bien.

Et pourtant, pour la première fois de sa carrière, elle avait échoué à mener deux adolescents sur le bon chemin. Pire, de par son attitude intransigeante, elle avait participé à justifier leur fugue. En convoquant les parents, elle n'avait fait que réagir à ce qu'elle avait vu, soit deux jeunes garçons fripons bravant son autorité. Il avait fallu le témoignage de plusieurs de ses élèves, dont les confessions et excuses de Victor, pour lui faire comprendre son erreur.

Elle culpabilisait. Si seulement elle avait été à la hauteur, rien de tout cela ne serait arrivé. Deux possibilités s'offraient à elle, la retraite ou bien réparer ses torts. En entrant en trombe dans le bureau du directeur, elle l'avait menacé de quitter immédiatement son poste s'il n'autorisait pas tous les amis et professeurs des deux fugueurs à participer aux recherches. L'autorisation avait été donnée pour ce mercredi matin et celui-là uniquement.

Dehors dans le froid, elle héla un passant qu'elle connaissait bien :

« Hervé, vous êtes en retard ! Venez, nous devons fouiller toute la zone autour de Voltaire pour voir si nos deux garnements n'auraient pas laissé des indices ou n'auraient pas cherché à joindre certains de leurs camarades. »

Monsieur Brussière n'avait pas le choix. En tant que professeur principal, il avait lui aussi l'obligation de participer aux recherches. Pas qu'il en avait envie, c'était juste son devoir et il ne souhaitait pas le fuir.

« Bonjour Joséphine. Excusez-moi, j'ai eu un mal fou à me lever ce matin, par où on commence ? »

« On fait le tour des commerçants, à commencer par le bar dans lequel vont souvent les élèves après les cours. Le patron a les jeunes à la bonne, ils auraient très bien pu quémander quelque chose à grignoter. »

Les deux adultes ne perdirent pas de temps. Alors qu'ils passaient en revue tous les magasins du secteur une photo des fuyards à la main, ils en profitèrent pour discuter un petit peu. Le professeur d'histoire disserta dans sa barbe :

« Quand même, ils ont bien caché leur jeu ces deux-là, je n'aurais jamais cru qu'ils puissent sortir ensemble. Kilian n'est pas très doué dans ma matière. Je dirais même beaucoup moins que son frère que j'ai eu avant lui, mais sa timidité en fait un élève adorable. Aaron, lui, est une vraie teigne. Mais quelle culture pour son âge ! Je ne les ai jamais vus s'asseoir l'un à côté de l'autre, et voilà qu'ils fuguent ensemble après s'être embrassés à la cantine ! Je dois me faire vieux, je ne comprends plus les jeunes d'aujourd'hui ! J'étais persuadé qu'ils se détestaient !»

La surveillante générale répondit en levant les yeux au ciel :

« Mon pauvre Hervé, si vous êtes aussi doué pour comprendre les femmes que les adolescents, je comprends votre célibat. Il fallait être aveugle pour ne pas le voir venir. Vous savez bien que rien n'est plus proche de la haine que l'amour ! Bon, j'avoue avoir été un petit peu surprise la première fois que je les ai vus s'embrasser en cachette, mais je comprends tout à fait qu'ils se soient tournés autour. Il faut vivre avec son temps, que voulez-vous ! Au moins, on pourra dire qu'ils ont fait bouger les murs à Voltaire, je ne suis pas sûre que le philosophe aurait condamné ce genre d'attitude ! Mais maintenant, il faut les retrouver, il en va de leur sécurité et de notre honneur de professeurs. »

Ce qu'il aimaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant