Chapitre 18 - Partie 1

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Vendredi dix décembre deux mille vingt-et-un

Sibylle enregistra sa page de traitement de texte puis tourna la tête vers Gaël qui était affalé sur son lit. Ça faisait deux bonnes heures déjà qu'ils travaillaient sur le livre et l'histoire avançait pas mal. Maintenant qu'elle voyait à peu près les paysages dans lesquels ses personnages évoluaient, l'écriture se faisait quasiment toute seule.

- Le dernier chapitre est terminé. Elle sourit en le voyant se redresser.

- Tu as déjà tout écrit ? Il posa son téléphone.

- Non. Elle se tourna complètement vers lui. Mais j'avais envie d'écrire la fin maintenant, pendant que je l'avais bien en tête. Il me reste la partie où les gens du village ne veulent pas de lui. Elle se frotta les yeux. C'est la partie qui devrait être la plus facile à écrire, parce que je peux piocher dans tout ce que j'ai entendu, comme on est pas beaucoup de personnes noires ici, mais je sens que je vais tourner en rond, parce qu'il va falloir que je dose entre ceux qui sont racistes, directement ou indirectement, ceux qui ne veulent pas de nouveauté, car ils aiment bien que les choses reste telle quelle et ceux qui ne veulent pas de touristes.

- J'arrive pas trop à me rendre compte du boulot que c'est, mais je te crois. Il lui sourit. Après on en a vu pas mal des gens qui n'aiment pas la nouveauté. Il tousse en disant le nom d'Eugène. Le genre « on est dans une station de ski pour skier, par pour faire du rugby ». Ou encore l'autre là, je ne sais plus son nom, qui avait volé l'échafaudage qui était installé sur les thermes parce qu'il ne voulait pas qu'elles soient rénovées pour attirer plus de monde.

- Je me souviens de cette histoire. Elle rigola en y repensant. Première fois qu'elle avait vu autant de voiture de police dans le village. Effectivement j'ai déjà tout sous la main pour rendre ça crédible.

- Est-ce que je peux te poser une question un peu particulière ? Il se pencha vers elle.

- Depuis quand tu demandes avant de poser des questions. Elle rigola, puis acquiesça en le voyant sérieux. Vas-y.

- Peut-être que je ne me souviens pas ou alors que je n'y faisais pas attention comme je n'étais pas personnellement attaqué, mais tu as subit beaucoup de violence raciste ici ? Il leva sa main en l'air. T'es pas obligé de me répondre et désolé si j'ai formulé ça bizarrement.

- Jamais d'attaque physique si tu te demandes, ni même d'attaque frontale du genre « rentre chez toi ». Mais pas mal de racisme ordinaire, celui que les gens ne remarque même pas, soit parce qu'ils ne voient pas le mal que ça fait, soit parce que c'est banalisé. Elle se mit à tripoter les fils de son écharpe qui pendait sur le dossier de sa chaise. Les personnes qui m'ont le plus fait ressentir que je suis différente, ce sont mes grands-parents maternelles. Ils nous ont toujours répété, à Idris et moi, qu'on avait de la chance d'avoir été adopté, que nos parents nous avaient sauvé la vie en nous sortant de la misère de nos pays, que sans eux on serait mort de faim ou qu'on travaillerait dans les champs au lieu d'aller à l'école.

- A ouai c'est chaud. Il se pencha pour l'encourager à continuer.

- Alors oui l'adoption nous a donné une vie bien meilleure que si on était resté en orphelinat, mais ils ne comprennent pas que nos parents nous ont adopté parce qu'ils voulaient une famille, c'est leur devoir de nous nourrir, nous donner une éducation. Pour eux on devrait leur être reconnaissant et ne jamais se plaindre de rien. Elle avait mit du temps à se rendre compte que les paroles de ses grands-parents étaient fausses, elle y avait cru un bon moment et c'était sentit coupable à chaque fois que quelque chose n'allait pas et qu'elle essayait de changer ça. Sans compter les réflexions du genre « habille toi correctement on dirait que t'es encore au fin fond de ton pays », tout ça parce que j'avais des chaussettes dépareillées ou « fini ton assiette, pense à tous tes frères qui n'ont pas la chance que tu as de manger à ta faim ». Plus jamais je n'ai pas terminé mon plat. Elle redressa la tête et en voyant sa mine fermée elle lui souri. Pourquoi cette question ?

- Euh ... Il récupéra son téléphone. Je suis tombé sur un truc sur twitter, une nana qui dit que ce n'est pas facile d'être la seule à être noire dans sa classe au lycée où il n'y a que des blancs. Beaucoup se plaignent dans les commentaires de ce qu'elle a dit, en mode elle ne veut pas se mélanger, ou elle cherche à faire des histoires en disant ça. Du coup elle explique que c'est un problème, parce qu'à chaque fois elle doit faire attention à ce qu'elle dit et doit ravaler ses sentiments pour ne pas passer pour une femme noire révolté pour un rien, parce qu'à chaque fois qu'elle élève la voix elle passe pour agressive, alors que d'autre non. Elle raconte qu'elle doit supporter des remarque sur ses origines, son corps, ses cheveux, tout ce qui est misogynoire. Qu'à chaque fois qu'ils parlent de l'Afrique tous le monde se tourne vers elle et certains se mettent à faire semblant de chasser avec une lance. Il reposa son téléphone. Je me demandais si tu avais subi ça aussi au lycée ou même à l'école.

- Je vois ce qu'elle veut dire. L'angoisse au début d'année quand tu vois que tu seras la seule à essuyer ça et qu'en plus tu n'auras personnes avec qui en parler, personne qui comprend vraiment parce qu'elle subit la même chose. Elle lui sourit pour le rassurer, elle voyait qu'il s'inquiétait vraiment pour elle, trop tard par rapport aux années lycée qui sont déjà loin, mais inquiet quand même. Au lycée je n'ai pas eu ce sentiment. Déjà j'avais Leslie dans ma classe à chaque fois, même si on était pas amie. Mais elle elle parlait à tout le monde, alors elle devait leur répondre je suppose. En tout cas je n'ai pas le souvenir de ça au lycée. Mais j'ai eu ce sentiment en emménageant dans mon premier appartement après la fac. Les regards en biais des autres habitants, des gens qui regardaient à travers leurs rideaux quand j'allais jeter mes poubelles, qui épiaient quand je me garais. Et la première personne chez qui ils sont venu sonner quand il y a eu une vitre cassée, c'est chez moi.

- Vraiment ? Il s'assit en tailleur pour être bien face à elle.

- Heureusement j'avais de quoi prouver que je n'étais pas sur place à ce moment là, sinon c'était pour ma poire, ils n'auraient pas cherché ailleurs. Du coup, j'ai envoyé mon recommandé aux propriétaires dans la soirée et je me suis cassé. J'y suis resté trois mois ça m'a suffit. Mais au moins ça m'a permit de déménager sur la colline. Elle lui sourit.

- J'en reviens pas qu'ils t'aient accusé directement.

- Je ne vais pas dire toujours, parce qu'il y a des exceptions, mais la plupart du temps ce sera la personne qui n'est pas blanche qui sera accusée en premier.

- Je savais que ça existait, mais je ne pensais pas à ce point.

- C'est notre lot quotidien. Elle leva les bras près de sa tête. On fait avec malheureusement, mais ce n'est pas ce qui compose principalement notre vie. Elle se remit devant son ordinateur. C'est là qu'il faut que je fasse attention en écrivant, ne pas trop en parler, parce que sinon il n'y aurait plus de place pour la romance de noël, il faut que je dose. 

Un livre de noëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant