Découvrir les légendes

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BOOONNNGGG

– Joakim, qu'est-ce que c'était ?

Joakim se pencha par-dessus bord.

– Une... petite bouteille...

Leur canot s'en éloignait rapidement, tandis qu'elle dansait sur les flots en faisant des pirouettes.

– Ah, saleté de pollueur !, pesta Elgud. Faut-il être méprisable pour jeter ses détritus à la mer !

En disant ça, il s'était levé de sa place et il agitait son poing en l'air avec tant d'humeur que tout vieux et tout gringalet qu'il était, il aurait bien cru intimider plus d'un pollueur méprisable.

Cependant, considérant avoir fait le tour du sujet, il se rassit dans la barque, sortit un petit calepin de sa veste, griffonna quelques mots dedans et le remit à sa place.

– Bon, voilà. Qu'est-ce que je disais, déjà ?

Joakim et Patsy déduisirent de son soudain changement d'attitude qu'ils pouvaient cesser de s'accrocher et se remettre à ramer.

– Tu disais que le trésor est peut-être au sommet d'une des îles du Traor, répondit Patsy au passage.

– Ah oui, c'est vrai, le trésor ! Mais savez-vous seulement comment les îles du Traor se sont formées ? Je suis sûr qu'on ne vous apprend pas ça au lycée.

– C'est plutôt le trésor qui nous intéresse, dit Joakim.

– En plus, ça fait deux ans qu'on a fini le lycée, dit Patsy. On est en stage maintenant.

– Peu importe !, dit Elgud.

Et il enchaîna aussitôt en gonflant sa voix d'éloquence :

– Il y a des âges de cela, ici même, au large de la ville de Plouanna, il n'y avait pas d'horizon : seulement des montagnes blanches et solennelles. Un jour, une fée du royaume des eaux, poursuivie par le Déclin lui-même, s'était retrouvée piégée face à ces hauteurs infranchissables. Elle se mit à genoux et supplia le Samildanach de lui venir en aide. Elle était tellement belle que le dieu tomba fou amoureux d'elle, dès l'instant où il l'aperçut. Mais même le Samildanach ne pouvait rien contre le Déclin. Alors, pour permettre à la fée de s'enfuir, il lui libéra le passage en mangeant les montagnes, les unes après les autres. La mer s'infiltra jusqu'à la côte, la fée y plongea et elle s'y dissipa comme un morceau de sucre dans du café : elle était sauve ! C'est depuis cette époque que par temps clair, comme aujourd'hui, on peut apercevoir d'ici les côtes sud de l'Irlande, et même le nord de la Bretagne. Avant, les montagnes nous barraient la vue. Je crois que j'ai écrit un poème là-dessus.

Il se pinça un peu les lèvres et se gratta un peu le béret, voir si ça l'aiderait à se rappeler.

Tout le monde sait bien que les environs de Plouanna débordent de légendes, comme d'ailleurs toute l'île de Kembac, et même comme tous les coins de tous les pays celtes d'une façon générale. Elgud, très probablement, les connaissait toutes, sans exception. Comme il le disait lui-même, avec tout ça, sa tête était parfois trop pleine pour tourner bien rond.

– Et les îles du Traor ?

– Eh bien elles sont là, ma petite Patsy, droit devant. Nous sommes en train d'y aller, on dirait.

– Ça je sais, Elgud. Mais tu devais nous raconter comment elles se sont formées ?

– Ah oui ! Oui, bien sûr, les îles. Les îles, ce sont les miettes qui restent du repas que le Samildanach a fait des montagnes !

Patsy y jeta un œil amusé, Joakim un œil perplexe. Elles s'étendaient autour d'eux, une multitude de tas de roche de toutes les formes et de toutes les tailles, sculptées dans le jour qui baissait.

Ils n'étaient plus qu'à quelques coups de rame de l'une d'elles, ils s'y laissèrent échouer, leur embarcation s'affala sur le fond sableux.

– Quand j'étais petit, ce n'était pas des nuages ?, fit Joakim en sautant dans l'eau.

Patsy le rejoignit, ils tendirent tous les deux leurs mains à Elgud pour l'aider à descendre.

– Comment ça, des nuages ?, fit celui-ci en chassant leurs mains pour se débrouiller tout seul.

– La dernière fois que tu m'as raconté cette histoire, je crois que les îles du Traor étaient des gros nuages qui s'étaient figés dans le ciel pour je ne sais plus quelle raison, qui étaient tombés dans l'eau et qui avaient fini par se changer en pierre avec le temps.

Enfin débarqué, Elgud remit sa vieille veste et son béret correctement.

– Mais oui, tu as raison. Ah Joakim ! Quelle chance tu as eu de grandir dans un monde plein d'histoires merveilleuses !

Joakim haussa les épaules.

Et puis, Elgud fit mine d'examiner les environs en se tenant aussi droit qu'il pouvait, les poings sur les hanches.

– Bon allez, fit-il d'un air décidé. Suivez-moi, au lieu de dire des bêtises. Je vais vous faire découvrir les légendes qui peuplent ces îles, puisque c'est tout ce qui vous intéresse !

Et il sourit d'un large sourire auquel il manquait desdents.

Le Pouvoir des ArtistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant