Le Pouvoir des Artistes

Une voix

Ils marchèrent quelques minutes sans rien dire. Des oiseaux rares sifflotaient dans les branches. Joakim y levait les yeux en ayant encore du mal à croire qu'il faisait déjà jour. Patsy chantonnait son air de flûte en gambadant. Quant à Brewal, il observait les alentours en fronçant les sourcils.

– Qu'est-ce qui a pris à Elgud de partir comme ça ?, demanda Joakim au bout d'un moment.

– Je lui ai raconté qu'avant, y avait un village de korrigans dans cette forêt. Il a absolument voulu les voir, je lui ai bien dit qu'ils étaient tous partis mais il a rien voulu entendre. Il a filé comme un fou de Bassan.

– Ça lui arrive des fois, reconnut Patsy.

– Et comment on va faire pour le retrouver ?

– Je lui ai dit où était le village. J'imagine qu'il a dû aller par là.

– Il y a toutes les chances pour qu'il se soit perdu en chemin.

– Pas si sûr, dit Brewal. Cassano est dans ce coin-là aussi, et il est impliqué dans ce qui se trame. Ça se voit. Et Elgud aussi apparemment, donc il s'y trouve sûrement.

Joakim se tourna vers lui : il se tenait un peu courbé. Le sol ressemblait à la fourrure d'un léopard, orange de feuilles mortes avec des taches blanches de neige : Brewal marchait dessus comme il aurait marché sur des œufs.

– Je ne comprends pas ce que vous dites, fit Joakim.

– C'est pas assez clair, peut-être ? Vous voyez pas les signes ? Là, par exemple ?

Et il pointa du doigt un ensemble d'arbres morts tout à fait ordinaire.

– Ou là ?

Et il montra un coin du bois complètement banal. Une silhouette sortit de derrière un gros rocher et bifurqua aussitôt pour s'enfoncer dans un buisson.

– Eh, ce n'était pas Elgud ?!

– ELGUD !, cria tout de suite Brewal.

Il attendit une seconde. Elgud ne revint pas.

– Restez là, je vais le chercher.

Il partit derrière lui.

– Bougez pas d'ici, dit-il à nouveau par-dessus son épaule. Je vous l'ai dit : y'a quelque chose qui se trame...

Joakim et Patsy le regardèrent s'en aller, en même temps qu'il continuait de jeter des regards méfiants vers des recoins où il n'y avait rien à voir.

Joakim se sentait aussi raide que les arbres autour d'eux.

– Tu vois quelque chose, toi ?

Patsy se grata la tête.

– Non. Peut-être les branches ? Je ne sais pas.

Elle haussa les épaules, et puis elle commença à s'éloigner.

– Où tu vas ?

– Je vais chercher du houx.

Elle montrait un arbuste pas très loin.

– Ça nous portera bonheur. Et puis ma mère voulait que je lui en ramène, ça comptera pour mon stage.

Joakim la considéra tandis qu'elle s'éloignait. Apparemment, elle s'en moquait. Il jeta un nouveau coup d'œil vers où Brewal venait de disparaître. Plus rien ne bougeait là-bas.

Il hésita une seconde.

Tout compte fait, il s'assit sur une souche qui dépassait des feuilles mortes.

Qu'est-ce qui se tramait, à la fin ? Qu'est-ce qui mettait Brewal dans cet état-là ?

Et puis il remarqua, à l'ombre de la souche, un reste de neige dans lequel il crut voir une espèce de forme de goéland. Elle avait un peu fondu, révélant des feuilles orange en dessous, à l'endroit des yeux, du bec et des pattes. Au lieu des plumes foncées des ailes, de la terre dépassait.

Il releva les yeux vers Patsy : elle fouillait dans l'arbuste de houx en examinant chaque feuille avec attention.

Il parcourut la forêt autour d'eux.

Enfin, il se mit droit sur son rondin de bois, il roula ses épaules et il fit pivoter sa tête pour se détendre la nuque.

Il prit une grande inspiration.

Et il ferma les yeux.

Il continua seulement de respirer pendant une minute. Sous ses paupières fermées, le soleil faisait un écran jaune où se projetaient des restes de la forêt qui évoluaient et scintillaient. Le tronc sous ses fesses était sec et froid et lisse comme un bloc d'acier. L'air sentait la terre humide, l'odeur d'un vieux champignon au fond d'une cave. Le sifflotement d'un oiseau résonnait quelque part, et une voix d'homme marmonnait au loin...

Joakim ouvrit les yeux tout grands.

Il bondit de sa souche d'arbre.

Cette voix : cen'était ni celle de Brewal, ni celle d'Elgud !