La connexion

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Passé de l'autre côté, il s'appuya le dos contre la porte.

Son cœur martelait dans le fond de sa gorge.

Une odeur acide lui agressait les narines, comme de l'herbe brûlée. Une petite lumière dans l'obscurité lui indiqua la présence d'un interrupteur, il l'actionna et regarda la pièce apparaître en clignotant sous la lumière des néons.

Avec ses murs de parpaings et sa fraîcheur humide, l'endroit ressemblait à une cave. Des caisses en bois étaient entreposées ça et là, des tableaux en étaient parfois sortis, ou des photos, emballées dans du papier bulle ou posées telles quelles contre les murs. Il y en avait partout.

Joakim s'aperçut que les personnages des peintures, les animaux, les portraits des photographies, tous les yeux étaient tournés dans la même direction. Et ce n'était pas vers lui, en dépit du Granit qui chauffait à son cou... Non, ils regardaient tous vers le centre de la pièce, vers une petite caisse entrouverte, posée en évidence au milieu des œuvres.

– C'est une représentation de l'Inneal qui est là-dedans ?, demanda-t-il en l'air.

Tout le monde dans les peintures et les photos fit oui d'un mouvement de tête.

Joakim s'en rapprocha prudemment. Les néons bourdonnaient au plafond. L'odeur d'herbe brûlée s'imprégnait dans sa bouche.

Il tendit la main lentement. Il sentait un souffle glacial qui sortait de la caisse.

Il poussa doucement le couvercle pour le faire basculer.

Et il resta bouche bée.

C'était bien la photo du land art. Il n'avait aucun mal à la reconnaître, parce qu'elle était totalement calcinée elle aussi, depuis le cœur jusqu'aux bords, comme les brochures du musée. Mais ce qui le choquait surtout, c'était qu'elle rayonnait une énergie étrange. Elle était froide et vide, il avait l'impression de regarder un trou ouvert sur l'espace.

Tout à coup, du bruit lui parvint de la galerie derrière lui.

– Qu'est-ce que c'est que ces espèces de papillons ?

Il fusa vers la porte.

– Allez me chercher des épuisettes avant que le Proconsul ne voie ça !

Il chercha un verrou mais n'en trouva pas. Une caisse était posée le long du mur, il la coucha en travers pour bloquer le passage. Quelqu'un essaya d'ouvrir dans la foulée. « Qui est là ?! » La caisse tint bon, mais l'autre derrière commençait déjà à y mettre de la force.

Joakim se retourna vers la réserve. Et c'est là qu'il vit clair, avec cette vue d'ensemble.

Sur les extrémités de l'image brûlée, il lui semblait reconnaître de l'herbe noircie. Et sur les peintures et photographies disposées autour, toutes les fleurs, les feuilles, les arbres, tout ce qu'il y avait de végétal était fané et flétri, d'autant plus que ces œuvres étaient proches de la photo centrale. C'était comme si ce qui l'avait endommagée avait irradié les représentations des plantes autour.

BAM ! Un coup d'épaule contre la porte !

Joakim oublia la photo pour se précipiter au mur du fond, sortit en chemin l'un des marqueurs de sa poche. Il dessina un rectangle irrégulier sur le mur, attrapa la poignée de porte dans son autre poche, la posa quelque part contre le parpaing, tourna et poussa de toutes ses forces. Le mur s'ouvrit comme s'il avait été en bois léger, la lumière du dehors lui brûla les yeux.

BAM !

Il se retrouvait face à la ruelle en contrebas. C'était haut mais pas insurmontable. Il allait s'en retourner pour récupérer la photo, mais il s'arrêta. Patsy avait raison tout à l'heure : le Proconsul les avait vus. S'il disparaissait maintenant, il se douterait que c'était lui le responsable. Il jeta un nouveau coup d'œil à l'intérieur.

BAM ! « Ouvrez, c'est un ordre ! »

Il décrocha la poignée de porte du mur en le laissant béant et il revint au centre de la pièce. Avec le marqueur, il traça un nouveau rectangle par terre, mit la poignée dessus et tira. Le sol vint aussi aisément que le mur, s'ouvrant sur les toilettes en dessous. Par chance, il n'y avait personne.

BBAAMM !! Il y avait maintenant deux épaules qui cognaient. La caisse derrière la porte s'ébranlait dangereusement.

Tout en tenant ouvert le trou qu'il venait d'improviser par terre, Joakim s'assit sur le bord et il retira la poignée.

BBAAAMMM !!

Il se retourna alors pour se retrouver suspendu, appuyé sur ses avant-bras, les pieds en l'air, le couvercle du trou retombé sur sa tête. Il pédalait dans le vide à la recherche de quelque chose sur quoi s'accrocher.

BBBAAAAMMM !!! La porte de la réserve céda.

Il se laissa tomber sur le carrelage dur et froid des toilettes.

Il regarda aussitôt au-dessus de sa tête : le sol de l'étage s'était refermé dans un claquement.

Il cessa de respirer une seconde, les oreilles tendues.

Des piétinements s'agitaient au-dessus. « Il est sorti par là ! », criait une voix étouffée. Et les bruits de pas s'en allèrent vers le fond de la pièce.

Joakim alla jeter la poignée de porte et les deux marqueurs dans la poubelle des toilettes. Se voyant débraillé dans le miroir, il ajusta ses vêtements, se passa une main dans les cheveux.

Des bruits de bottes couraient de l'autre côté de la porte. Il entrouvrit, sortit la tête.

Il sortit des toilettes et se dirigea d'un pas vif vers l'escalier. Au moment où il le rattrapait, le Proconsul en descendait à toute allure suivi par tout un escadron d'Agents Proconsulaires.

– Dépêchez-vous ! Il ne doit pas encore être très loin ! Ne restez pas au milieu du chemin, mon garçon !

Joakim se plaqua contre le mur pour les laisser passer. Il les regarda sortir au pas de course.

Il remonta à l'étage, retrouva Patsy et Dani à l'établi d'Alfred Hampton. Quelques Agents Proconsulaires étaient encore occupés à courir après les origamis qui virevoltaient au bout de la galerie.

Joakim prétendit s'inquiéter de voir les terroristes revenus au musée pour s'échapper du cours d'Alfred Hampton.

Sur le chemin du retour, il raconta ce qui s'était passé, ne se laissant qu'à peine reprendre son souffle. Même Brewal allait être impressionné, même s'il ne l'admettrait jamais.

Il déboula dans l'atelier sans frapper.

– Vous êtes déjà là ?, fit Shona avec étonnement.

– Comment ça s'est passé ?, demanda Mikael.

Joakim se dirigea vers la brochure du musée, toujours posée sur la table. Un origami s'échappa des cheveux de Patsy, Rezennet le goba en passant.

– J'ai vu la photo de l'Inneal, dit Joakim en filant vers la verrière avec la brochure dans les mains.

– Elle est où ?, demanda Brewal en le suivant.

– Au musée : je n'ai pas pu la prendre.

– Quoi ?!

– Mais je crois que j'ai trouvé la connexion dont vous parliez. Celle entre la photo et l'Inneal.

Il rentra dans la verrière. Il tendit la brochure près d'une plante. Et les feuilles se recroquevillèrent et s'asséchèrent.

– Il brûle les végétaux, dit-il en s'écartant pour que tout le monde puisse bien voir.

Brewal lui prit le papier des mains.

– L'Inneal a sûrement le même effet en vrai ! Faut qu'on trouve où ça se produit sur l'île, et on saura où il est !

Joakim sourit fièrement. Il n'avait encore jamais vu Brewal aussi heureux, il ne s'était même pas imaginé que ce fût possible. Il parcourut les autres des yeux, restés sur le seuil de la verrière, Mikael et Shona, Biddy, Patsy et Dani...



– ... Dani ?!!

Le Pouvoir des ArtistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant