Rester dormir

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La créature sursauta, elle releva la tête vers le bruit, Brewal aussi.

Joakim et Patsy suivirent leurs regards.

Ils découvrirent alors qu'ils n'étaient pas seuls dans l'atelier : un jeune homme était assis derrière une table, un crayon à la main. Il portait une boucle d'oreille dorée et un foulard de carrés de couleurs noué autour du cou. Joakim croyait bien le reconnaître : Mikael Lagadeg, celui qui avait peint la bombe jaune sur le mur du musée. A côté de lui se tenait une femme qui lui ressemblait un peu, blonde comme le soleil, les cheveux courts. Au fond de la pièce, enfin, une autre femme peut-être un peu plus âgée, assez grande, plutôt mince, les deux mains à plat sur l'établi devant elle, jetait sur Brewal un regard inquiet.

Tout le monde s'était retourné vers elle.

– Quoi ?, fit Brewal.

La femme se mit à parler en langage des signes.

– Oui, répondait Brewal. Peut-être, et alors ? Ecoute Biddy, je ne peux pas...

Biddy donna un nouveau coup rapide sur son établi pour demander le silence. Puis elle repartit sur de nouveaux gestes.

– Joakim Even, lui répondit Brewal. D'après Kenan, c'est lui qui était censé nous aider.

Et il jeta au passage un œil dédaigneux sur Joakim. Biddy s'agita de plus belle.

– Bon, fit Brewal, et alors, qu'est-ce que ça change ?

Elle fila à travers la pièce, jusqu'à un coin où étaient disposés deux longs canapés et quelques fauteuils couverts de coussins qui changeaient de couleur. Elle ramassa une pile d'enveloppes posée sur la table basse, elle la secoua dans les airs. Elle reposa les enveloppes et reprit ses mouvements.

– Quoi ?!, dit Brewal. Lui ? Tu es sûre ?

Joakim et Patsy les regardaient à tour de rôle, vérifiant seulement de temps en temps que Rezennet la gargouille attendait toujours d'en savoir plus avant de leur bondir dessus.

Brewal se tourna enfin vers Joakim.

– Elle dit que tu ressembles à son fils. Apparemment, il raconte dans ses lettres que tu l'aiderais à revenir à Plouanna ? Artur ? Tu lui as passé ta carte d'identité ?

Joakim s'illumina.

– Oui ! Lizig ! C'est ma sœur !

Il se releva sans attendre, Patsy l'imita l'air complètement paumé. Rezennet montra les crocs.

– Je veux dire, oui, je lui ai passé ma carte d'identité.

Biddy vint lui prendre la main et la serra dans la sienne en souriant. Joakim hochait la tête en s'efforçant de ne pas regarder ailleurs.

– J'espère que votre fils va bien, lui dit-il d'une voix enrouée.

– Bon, d'accord, fit Brewal en laissant tomber ses épaules. Couchée, Rezennet.

Le monstre rangea ses crocs, fit un tour sur lui-même, puis s'étendit sur le sol en déposant sa grosse tête de granit sur ses pattes.

– Merci Madame.

– Elle s'appelle Biddy.

Biddy fit quelques gestes.

– D'accord, d'accord. Lui c'est Mikael, ajouta Brewal, et sa mère Shona, dit-il en indiquant la femme assise à côté de Mikael.

– Moi c'est Patsy, dit Patsy.

Joakim et Patsy firent un salut timide de la main.

– Bon, désolé de vous avoir suivi, fit Joakim en se dirigeant lentement vers la porte sans tourner le dos à la gargouille. C'était idiot de notre part.

– Oui, et ne vous en faites pas, dit Patsy en le suivant l'air de rien, on ne dira rien à personne. D'ailleurs il fait nuit, on serait bien incapables de retrouver cet endroit même si on le voulait.

– Où vous croyez aller ?, demanda Brewal d'une voix sombre.

Joakim et Patsy s'arrêtèrent dans leur élan.

– Eh bien... On rentre chez nous ?

– Vous plaisantez ? Vous nous avez fait courir assez de risques en venant ici. Y a des patrouilles de Brassards plein les environs, vous pourriez tomber sur l'une d'elles.

Joakim secoua la tête.

– Mais même si on se faisait contrôler, on ne leur dirait rien !

– Comment veux-tu que je te fasse confiance ? En plus, t'es pas en règle, t'as pas ta carte d'identité : ils te jetteraient en prison. Va savoir ce que tu serais prêt à leur raconter pour en sortir. Non, vous allez dormir ici cette nuit. Vous repartirez demain matin à la première heure. Ce sera plus sûr.

Joakim lança un regard désespéré à Patsy, il frissonna en découvrant qu'elle était plein sourire. Il jeta alors un rapide coup d'œil autour de lui.

La pièce où ils se trouvaient n'était qu'un bric-à-brac bariolé, des meubles usés et dépeints qui n'allaient pas vraiment les uns avec les autres, des étagères couvertes d'outils, de céramiques, de morceaux de bois, de blocs d'argile, des dessins à même les murs qui les regardaient avec curiosité, des toiles posées ça et là, des instruments de musique entassés sur un établi, une panoplie de casseroles à côté d'un évier. Des plantes insensées commençaient à envahir les lieux, débordant d'une verrière au fond, où des bustes blancs posés sur des socles s'agitaient mollement.

– Je ne peux pas dormir ici, moi, fit Joakim tandis qu'il parcourait tout ça des yeux.

Brewal lui jeta un regard de biais.

– Qu'est-ce qu'il y a, c'est pas assez bien pour toi ? Pousse pas le bouchon trop loin, gamin. T'as déjà de la chance de t'en sortir vivant.

Il leur indiqua la grande table au milieu de la pièce.

– Asseyez-vous, on allait préparer à manger.

Le Pouvoir des ArtistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant