La période des fêtes

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Joakim ne s'attendait à rien de spécial pour son anniversaire, il n'y avait pas vraiment réfléchi. Mais s'il l'avait fait, il ne se serait pas attendu à ça.

Durant tout le repas, Elgud monopolisa la parole avec ses histoires habituelles. Il était rapidement redevenu égal à lui-même et c'était comme s'il avait toujours vécu là.

Pendant qu'il déblatérait, Joakim ne touchait qu'à peine à son assiette, perdu dans ses pensées. Sa sœur, qui avait compris que quelque chose n'allait pas dès qu'elle les avait vus franchir la porte tous les deux, avait du mal à tenir en place. Et sa mère, sans doute frustrée de voir l'anniversaire de son fils passer au second plan, n'arrêtait pas de lancer à leur invité forcé des regards assassins.

Joakim avait raconté qu'Elgud ne retrouvait plus ses clés de maison et qu'il irait chercher un serrurier dès le lendemain à la première heure. A la surprise générale, il lui laissa son lit et il dormit sur le canapé. Ce n'était que pour une nuit, de toute façon...

Mais le lendemain, plutôt que de s'occuper de son soi-disant problème de clé, Elgud passa la matinée à examiner le sapin de Noël planté dans un coin du salon. Les décorations qui y étaient accrochées s'animaient sobrement : les boules changeaient de couleurs, les étoiles scintillaient. Et lui, il secouait la tête d'un air navré.

L'après-midi, il n'avait même plus l'air de se souvenir qu'il était censé chercher un serrurier. Il avait laissé le sapin pour contempler les pierres des murs ou les poignées des portes. Il passait de longues minutes devant, bredouillant avec des mélodies dans la voix. A un moment, Joakim capta ce qu'il disait : «Une vierge dorée et drapée de pétales... Orangés. A ses pieds, des images s'étalent ! », quelque chose comme ça. Et soudain, les plantes d'intérieurs autour d'eux lui parurent énormes et il crut se retrouver au milieu d'une jungle. Tout ça n'avait ni queue ni tête. Elgud sortit son calepin et se mit à écrire frénétiquement, souriant jusqu'aux oreilles. Le soir venu, il trouva une excuse pour rester dormir une nuit de plus.

Et le lendemain, évidemment, il en trouva une autre.

Et une autre encore le jour suivant.

Pendant ce temps-là, la mère de Joakim continuait de faire ce qu'elle pouvait pour lui être désagréable. Elle racontait la fin des livres qu'elle le voyait emprunter sans gêne dans leur bibliothèque, Joakim la soupçonnait même de brûler exprès une partie des plats qu'elle cuisinait, pour la servir à Elgud avec un coup d'œil mauvais au passage. Plusieurs fois par jour, elle lançait des insinuations à peine voilées à propos de Noël qui arrivait bientôt, que c'était agréable de passer le réveillon en famille, qu'ils aimaient se retrouver rien qu'entre eux chaque année... Elgud n'avait même pas l'air de l'entendre.

Et Lizig, de son côté, sautait alors sur l'occasion pour contredire sa mère. Elle la contredisait pour ainsi dire chaque fois qu'elle ouvrait la bouche. Depuis que Joakim lui avait avoué ce qui s'était passé, surtout en ce qui concernait Mikael, elle était de mauvaise humeur du matin jusqu'au soir. Elle claquait les portes, elle répondait sèchement, elle n'était jamais d'accord.

Sans que Joakim sût dire pourquoi, elle s'était mise en tête qu'il serait capable de l'aider à faire évader Mikael. Ils devaient essayer, disait-elle, quitte à s'attaquer à la Maison Proconsulaire de front, ou à combattre tous les Agents Proconsulaires présents sur l'île de Kembac. Voire, carrément, quitte à renverser la Grande Nation, s'il le fallait ! Au bout d'un moment, Joakim n'était même plus certain que faire évader Mikael fît encore partie de son plan.

Tout ce manège dura jusqu'au jour de Noël.

A mesure que la semaine s'écoulait, Joakim avait l'impression qu'Elgud était de plus en plus décalé, sa mère de moins en moins patiente, sa sœur de plus en plus électrique.

Et il y avait plus grave.

Toujours pas de nouvelles de Brewal.

Tous les jours depuis qu'Elgud s'était installé chez eux, Joakim lui demandait s'il prévoyait enfin d'aller voir son ami au parc d'Ynys, comme Brewal lui avait demandé de le faire.

– Bien sûr, répondait alors celui-ci invariablement. Nous irons ensemble, je te l'ai déjà dit. Très bientôt.

Et il reprenait aussitôtce qu'il faisait l'instant d'avant. Pendant ce temps-là, où en étaitSoverinn ? Combien de temps leur restait-il avant qu'il ne trouvâtl'Inneal ? Joakim avait l'impression que les murs de sa maison se refermaientsur lui. Il n'arrivait plus à dormir, toutes ces histoires lui tournaient en ronddans la tête, et Hanternoz prenait toute la place sur le canapé.

Le Pouvoir des ArtistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant