Aller chercher une couleur

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Joakim cacha la bouteille dans le tiroir de son bureau.

Il sortit de sa chambre.

– Et vous faites votre stage sur le port vous aussi ?, demandait sa mère à quelqu'un dans l'entrée.

Arrivé au milieu de l'escalier, Joakim découvrit qu'elle était en train de parler à Mikael Lagadeg.

Il secoua la tête, cligna des paupières. Mikael Lagadeg ??

C'était bien lui, avec sa boucle d'oreille dorée, son foulard plein de carrés colorés autour du cou. Il répondait vaguement à sa mère que oui, il travaillait au port, mais qu'il faisait son stage ailleurs. Il échangeait en même temps un long regard avec Lizig, assise dans un des fauteuils du salon. Elle, elle était occupée à caresser un coussin, tandis que Hanternoz, étendu sur ses genoux, suivait sa main des yeux en ayant l'air de se demander ce qui lui prenait.

Joakim descendit une marche, s'arrêta, fit demi tour et regrimpa jusqu'à sa chambre. Il fonça à son bureau pour récupérer la petite bouteille. Il la fourra dans une poche de son gilet en mettant sa main dessus pour essayer de cacher la grosse bosse qu'elle provoquait.

Il redescendit au salon à toute allure.

– Alors, tu en as mis du temps, fit sa mère en le voyant arriver.

Il salua Mikael rapidement, enfila sa veste aussi vite que possible pour ne pas laisser à sa mère ou à Lizig le temps de voir la bouteille cachée dans sa poche, il mit ses chaussures en vitesse, et il entraîna Mikael dehors.

– Ta sœur a l'air sympa, fit celui-ci tandis qu'ils commençaient à remonter la rue.

– Sûrement... Mais qu'est-ce que tu fais là ? Il est arrivé quelque chose ?

– Non, aucun risque. Je passais juste dans le coin.

Ils marchèrent encore quelques pas.

– Et tu...

La ville semblait déserte à part quelques goélands perchés sur les lampadaires. Joakim jeta un regard incertain vers Mikael. Lui filait droit, les yeux au loin.

– Tu as le Granit de Brewal ?, lui demanda-t-il en indiquant le sac qu'il portait sur son dos.

– Non, c'est autre chose. C'est oncle Brewal qui l'a. Il n'aime pas trop que je m'amuse avec. Enfin, je ne fais pas non plus toujours ce qu'il veut !

– Et du coup..., dit encore Joakim, tu sais, comme on en avait discuté, tu... tu as dit que tu pourrais peut-être sortir mon Granit de sa bouteille ? Je l'ai prise avec moi au cas où.

Et il la tira de sa poche.

Mikael bifurqua dans une ruelle étroite.

– Prenons par là.

Puis il s'arrêta dans un coin.

– Passe.

Il lui prit la bouteille, fit un mouvement que Joakim n'eut pas bien le temps de voir, et il se retrouva avec la bouteille dans une main, le Granit dans l'autre.

– Comment...

Mikael lui tendit tout ça.

– Voilà.

Joakim attrapa la bouteille machinalement pour la remettre dans sa poche, mais en même temps il ne regardait que le Granit.

– Qu'est-ce que tu veux faire avec ?, lui demanda Mikael.

– Eh bien... Je ne sais pas encore. Mais j'espère qu'il m'aidera à trouver un truc que je cherche depuis longtemps.

– Si tu veux, je peux te montrer comment on s'en sert.

– C'est une espèce de piège ?

– Non, pourquoi tu dis ça ?

– Brewal a dit que je ne saurai jamais l'utiliser...

– Tu vas pouvoir lui montrer qu'il a eu tort !, répondit Mikael en souriant. Allez, à mon avis on ne risque pas grand-chose, mais les Brassards le recherchent : il vaut peut-être mieux que tu le caches. Ça ne t'empêche pas de le porter si tu veux.

Joakim ne se le fit pas dire deux fois, il se passa le Granit autour du cou et il le glissa sous son gilet. Il ressentit une chaleur diffuse à l'endroit où la pierre toucha sa peau. Mikael lui sourit de plus belle. Ils repartirent aussitôt.

Ils arrivèrent rapidement au bout de la ruelle et bifurquèrent à nouveau.

– On va faire un détour, annonça Mikael. Ça va nous rallonger, mais le chemin direct est trop fréquenté alors je n'ai pas pu y faire grand-chose.

– Comment ça ?

– Eh bien, comme les Granits rayonnent depuis que Soverinn a réveillé l'art, dès qu'on s'en est rendu compte, j'ai parcouru la ville pour activer tout ce que je pouvais : la couleur des maisons, les statuettes au coin des rues, les vitraux de la chapelle Saint Kemo. Ce genre de truc. Pour brouiller les pistes. Sans ça, les seuls endroits où les effets du Granit se seraient produits auraient été ceux où il y avait des Granits, c'est-à-dire chez toi et à l'atelier. Et alors, les Agents Proconsulaires n'auraient pas eu de mal à les trouver.

Joakim réfléchit quelques secondes.

– Donc c'est Soverinn qui a réveillé l'art ?, fit-il prudemment.

– Oui, justement pour retrouver les Granits. Pour qu'on ne puisse pas l'arrêter si jamais il trouvait... Tu sais... L'Inneal.

– L'arme dont parlait Brewal ?

Mikael hocha la tête.

– C'est ça. Qu'il veut utiliser pour détruire le monde, tout ça.

Il jeta un coup d'œil curieux vers Joakim, comme s'il attendait une réaction de sa part.

– Tu n'as pas l'air très inquiet, dit-il.

Joakim haussa les épaules.

– Je ne peux rien y faire, de toute façon. Et vous vous en occupez, non ?

– Oui, dit Mikael en souriant d'un air confiant. On s'en occupe.

Ils serpentèrent encore entre des maisons blanches, en direction de la mer.

– Au fait, reprit Joakim, à propos de Brewal, je me demandais... Pourquoi c'est lui votre chef ? Je veux dire, puisque ce n'est pas un artiste.

– Oncle Brewal est un artiste.

– Mais... Il disait que...

– Il ne pratique aucun art, c'est vrai. Enfin, il est très fort au gouren, mais je ne pense pas que ça compte.

– Au gouren ?

– C'est un sport de combat celte. De la lutte.

– Oui, je sais ce qu'est le gouren. Mais je veux dire : quel rapport ?

– Eh bien, c'est un art martial.

– Ça marche aussi pour les arts martiaux ?!

– Non non, justement. C'est parce que je viens de dire qu'oncle Brewal ne pratique aucun art. En fait, il fait du gouren, et on dit que c'est un art. Un art martial. Mais c'est vrai que ça n'a rien à voir avec peindre ou jouer de la musique, par exemple. Et oncle Brewal ne fait rien de ce genre.

– Alors je ne comprends pas pourquoi tu dis que c'est un artiste.

– Tu vas comprendre, je vais t'expliquer. De toute façon, pour être honnête, c'est pour ça que je suis venu chez toi. Je me disais qu'on pourrait en profiter pour que tu m'aides à aller chercher une couleur. Si tu veux bien, évidemment.

Joakim fit oui de la tête. Pourquoi pas, après tout.

– Comment ça ?,demanda-t-il en se rendant compte qu'il ne s'agissait sûrement pas d'en acheterune chez Monsieur Liou.

Le Pouvoir des ArtistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant