Le monde dans la brume

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De la lumière se jeta sur eux, émergeant d'en dessous.

– Ouaaah !, n'en revinrent pas Patsy et Elgud.

Le menhir se tenait en équilibre sur un coin de sa base. A sa place, il y avait maintenant un trou, dedans baignait une atmosphère blanchâtre.

Sans dire un mot, Brewal jeta son sac dedans, il s'assit sur le bord, puis il s'y glissa en se retournant sur le ventre. Il se releva une seconde plus tard de l'autre côté du sol, à l'envers, la tête en bas.

– Suivez-moi.

Joakim chancela, Elgud rigola, Patsy se précipita sur le trou et procéda exactement comme Brewal.

Quand elle fut passée de l'autre côté elle aussi, la tête en bas à côté de lui, Elgud enchaîna en rigolant toujours. Il s'y prit un peu n'importe comment mais il finit par rejoindre les autres.

Joakim, enfin, jeta un dernier regard à la campagne autour de lui. Il leva les yeux vers les étoiles dans le ciel. Il était bien réveillé, tout ça était bien réel. Comme ce trou sous ce menhir. C'était complètement fou, mais c'était bien réel. Il défit le sac de son dos, il le laissa tomber dans l'ouverture blanche où les autres se tenaient à l'envers. Et il s'assit sur le bord à son tour.

Les fesses sur la terre, ses jambes pendaient bizarrement, ses pieds vers la tête des autres. Il avait l'impression de regarder leurs reflets dans une flaque étrange. Il se retourna comme ils venaient de faire tous les trois, pour se reposer sur ses avant-bras. Il s'attendit à se sentir suspendu en l'air, mais ses genoux tombèrent sur le sol inverse et il se retrouva plutôt comme s'il avait mis la tête au fond d'un terrier. Il eut un peu la nausée. Il se traîna en arrière, à quatre pattes, la tête au-dessus du trou ouvert sur la nuit étoilée. Il se releva sur ses pieds.

Il s'attendait à se sentir retourné, mais la gravité agissait naturellement. Le menhir de l'autre côté retomba lentement à sa place comme une porte emportée automatiquement, ne laissant pour seule trace de son existence qu'un petit morceau de rocher qui dépassait discrètement de la terre.

Joakim se demanda, de tous les morceaux de rocher de ce type sur lesquels il avait dû marcher dans sa vie, combien étaient en réalité le dessous d'un menhir ? Et puis il jeta un œil alentour.

Ils étaient arrivés au milieu d'une plaine. Une brume laiteuse la baignait mais il distinguait tout de même de longues rangées irrégulières d'une multitude de menhirs, semblables à celui sous lequel ils venaient de passer. Brewal ne traîna pas, ils le suivirent le long des pierres.

– Où on est ?, demanda Joakim.

Sa voix résonna à travers l'air dense et tiède. Elgud se mit à faire des « bla bla bla » en claquant ses lèvres pour s'amuser de l'écho.

– Dans un des Autres Mondes, répondit Brewal.

– Il y en a d'autres ?

– Plein. On en trouve partout. Déjà, un différent sous la plupart de ces menhirs.

– Bla bla... BLA... bla...

– La plupart ?, demanda Patsy.

– Y en a quelques-uns qui servent à autre chose. C'est un comme ceux-là que Soverinn a utilisé pour réveiller l'art, par exemple.

– C'est super ! Qu'est-ce qu'on peut faire d'autre comme trucs rigolos ?

– C'est pas des jouets, répondit Brewal. Et j'en sais rien. Y en a trop : les menhirs mais aussi les dolmens, les allées couvertes, les cromlechs... Même Kenan sait pas comment ils fonctionnent tous.

Joakim essaya de discerner où la rangée qu'ils suivaient se terminait, mais il n'en voyait pas le bout. Et le nombre de rangées semblables, parallèles à la leur, avait l'air également sans fin.

– Il y a beaucoup d'armes ?, demanda-t-il.

– Des armes ? Pourquoi, des armes ?

– Comme l'Inneal, par exemple.

Brewal leva le menton.

– Ah ! Peut-être, j'en sais rien.

– Alors on ne risquerait pas d'en déclencher une par accident ? Je veux dire, si je pousse une arme en pensant qu'il y a un trou dessous qui mène à un Autre Monde...

– Non, de toute façon t'activerais pas un de ces menhirs-là en le poussant, ceux-là marchent pas comme ça. Mais ça n'empêche : faut surtout pas le faire ! C'est très dangereux !

– Mais alors comment je les distingue les uns des autres ?

– Déjà, t'as qu'à pas pousser un menhir que tu connais pas. En fait, reviens pas tout seul ici, et puis c'est tout.

Brewal n'ajouta rien pendant quelques secondes.

– Bla... bla... bla bla...

Ils continuèrent de marcher au milieu des pierres.

– Enfin si jamais ça arrivait, reprit-il quand même au cas où, la base des menhirs qui n'ouvrent pas de passage est noircie. Comme celui-là, par exemple.

Il leur en montrait un dont la base était tellement sombre qu'on aurait pu croire qu'elle était faite de charbon.

– C'est parce qu'y a la mer dessous : ça les érode. C'est d'elle qu'ils tirent leur énergie. Et c'est pour ça qu'il faut surtout pas les soulever !

– Qu'est-ce qui se passe, si on le fait ?, demanda Elgud en arrêtant enfin de babiller.

– Les korrigans racontent qu'y a des siècles, Plaenig, un type réputé pour être un parfait idiot, a voulu prendre un passage vers un monde plein de friandises...

– Ça existe ?!, l'interrompit Patsy.

– Je sais pas, répondit sèchement Brewal. En tout cas, à la place il a poussé le menhir qu'ils utilisaient pour gérer la météo. Il est par là-bas, je crois. Ça a été une catastrophe ! La mer a émergé du trou en dessous comme une cascade, la plaine a été inondée en quelques minutes à peine ! Le roi Danglor, – c'est un roi légendaire chez les korrigans, – il a réussi à le refermer mais il s'en est fallu de peu que tout ce Monde disparaisse sous les eaux.

– Comment le roi a fait ?, demanda encore Elgud avec intérêt.

– Il a rendormi le menhir. Ce sont des œuvres d'art, on peut les rendormir comme on les réveille : en les frappant avec un Granit. Dans ce cas-là, c'est définitif, on peut plus jamais s'en servir. C'est pour ça que les korrigans maudissent Plaenig dès que le temps qu'il fait leur convient pas. C'est celui-ci.

Ils venaient de s'arrêter à côté d'une pierre comme les autres, plantée dans la verdure.

– Vas-y Joakim.

Joakim regarda sa base. Elle n'avait pas l'air si noire que ça, mais il releva quand même un regard interrogateur vers Brewal.

– Quoi ?

– ... On ne risque rien ?, demanda-t-il en s'attendant un peu à se faire gronder.

– Bien sûr que non !, le gronda Brewal. Puisque je te dis de l'ouvrir !

Joakim s'empressa de mettre ses mains dessus, il trouva ses appuis beaucoup plus facilement que la première fois et il poussa.

Ils passèrent par le trou dessous, pour se retrouver dans une obscurité aussi glaciale que celles qu'ils quittaient quelques minutes plus tôt.

– La forêt de Dervenn est juste derrière, dit Brewal quand le menhir se fut refermé à leurs pieds. On va attendre ici, pas loin de l'entrée de l'Autre Monde : il fera plus chaud. On partira dès que le soleil sera levé.

Puis il s'adossa à un rocher gris, tandis que les autres commençaient à déballer leur couchage.

– Demain, on va revoir Cassano..., dit-il pour lui-même.

Mais Joakim l'entendit, et il sentit les poils se hérisser sur ses bras.

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