Rourke

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Joakim et Patsy échangèrent un regard, et ils rattrapèrent le petit gars en kilt à travers les bousculades des danseurs et des ivrognes.

Joakim était venu là sans se laisser le temps d'y réfléchir, mais plus ça allait, et plus il se disait que ça n'avait peut-être pas été une très bonne idée. Tout le monde autour d'eux lui donnait l'impression d'être capable de déclencher une bagarre pour une broutille. Et le pire était que personne, même pas les plus costauds, n'aurait sans doute osé lever un doigt sur celui qu'ils étaient en train de suivre.

Ils passèrent par une porte à côté du comptoir, où était suspendue une pancarte « Privé ».

Un couloir les amena dans une pièce remplie de fûts et de cagettes de bouteilles, au plafond de laquelle pendouillait une ampoule.

A peine entrés dans la pièce, on les empoigna ! On les poussa jusqu'à des chaises, on les fit s'asseoir brutalement et on leur attacha les mains dans le dos !

La musique reprenait dans la grande salle du pub, étouffée par les cloisons et la distance. Le petit nerveux vint se placer devant eux, ceux qui venaient de les ligoter, deux malabars à béret, se mirent de part et d'autre derrière lui.

– Qu'est-ce que vous lui voulez, à Brewal ?, demanda le chef en relevant les manches de sa chemise.

Sur un de ses bras, le tatouage d'une pieuvre géante était en train de bouger, resserrant ses tentacules autour d'une tête de mort.

– Je voulais juste lui parler, dit Joakim avec une voix de miel. Vous voyez, il m'a donné un oiseau, mais je l'ai cassé accidentellement.

– Joakim, dit Patsy tout bas. Arrête, tu dis n'importe quoi...

– Toute façon je m'en moque, la coupa l'autre. Tu crois qu'on peut venir ici demander après Brewal Kozhiliz et s'en sortir sans problème ?

Il tendit la main vers un de ses acolytes, qui lui passa une cornemuse dont la poche était couverte de lignes brûlées entortillées, comme des entrelacs celtes.

– Vous aimez la cornemuse ?, demanda-t-il d'un air sadique.

Patsy sourit.

– Oui, moi j'aime bien.

– Celle-là n'est pas une cornemuse ordinaire, dit le gars au bonnet rouge en passant la poche de l'instrument sous son bras. Elle pourrait arracher des arbres. Et je m'en vais vous en jouer un morceau dans les oreilles.

Joakim le regardait l'air paniqué, Patsy avait quand même l'air un peu mal à l'aise.

Le tatoué gonfla la poche de son instrument, aussitôt un vent puissant leur souffla dessus, soulevant leurs cheveux à l'horizontale, ébranlant les bouteilles dans les cagettes autour d'eux ! Le petit en kilt prit une grande inspiration, ses deux hommes de main se bouchèrent les oreilles, Joakim et Patsy tournèrent la tête autant que possible pour se protéger de la déflagration imminente...

– Rourke, c'est quoi ce raffut ?, cria quelqu'un par-dessus la tempête de la cornemuse.

Rourke s'arrêta tout de suite, les cheveux de Joakim et Patsy retombèrent, tout ébouriffés.

Brewal Kozhiliz venait d'apparaître sur le seuil de la porte.

Il portait toujours les mêmes habits qu'au musée, seul son visage était changé : il n'avait plus ni lunettes, ni gros sourcils, ni gros nez – c'était bien lui. Et sans être aussi costaud que les deux molosses qui avaient attachés Joakim et Patsy, sans frétiller autant que ce Rourke, son regard était si profond qu'en le croisant, les premiers rentrèrent la tête dans leurs épaules et le second s'arrêta de gigoter un instant.

Le Pouvoir des ArtistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant