Patsy s'habilla en un éclair. Puis prête à partir vers le bas de la rue, elle vit Joakim remonter dans l'autre sens.
– On ne va pas vers le port ?, demanda-t-elle en le suivant.
– Pour quoi faire ?
– Eh bien, pour prendre un bateau.
– On n'a pas besoin de bateau. En vérité, Bilz n'a pas sombré en mer. Son butin non plus.
– Qu'est-ce que tu racontes ? Toutes les archives qu'on a lues...
– Les archives se trompent.
– Et les pièces d'or retrouvées sur les plages...
– Ce sont les pêcheurs orange qui les ont jetées à l'eau. Comme sur la peinture au musée. C'était justement pour faire croire que le butin était au fond de la mer, comme ça personne ne le chercherait ailleurs. Ça a plutôt bien marché.
– Mais quel rapport avec Bilz ?, fit Patsy en levant les bras au ciel. Ces marins travaillaient pour Ezekiel Roz Bud ! Tu l'as vu toi-même, dans le livre sur l'histoire de Plouanna. Ils transportaient des caisses avec un B peint dessus.
– C'était le B de Bilz, dit Joakim.
– Mais non, c'était le B de Bud ! Comme dans Ezekiel Roz Bud ! On a vu sa tombe au cimetière, avec le même B gravé dessus. Et ça collait avec l'histoire d'Elgud sur les marins orange. Je croyais que c'était clair !
– Je suis sûr de ce que je dis.
Patsy secoua la tête.
– Je n'y comprends plus rien. Donc, tu penses que c'était bien le butin de Bilz que les pêcheurs orange chargeaient ce jour-là ?
– Non. Si tu me laissais t'expliquer, à la fin ! Réfléchis : ça n'aurait eu aucun sens que Bilz fasse peindre un B sur ses caisses, bien en évidence ! Et puis elles n'avaient pas l'air si lourdes que ça si elles étaient remplies de pièces d'or... A moins bien sûr que tout ça n'était fait exprès !
– Je ne te suis pas.
– Je crois que ces caisses étaient vides, dit Joakim.
Patsy secoua la tête à nouveau, comme si on venait de lui jeter un verre d'eau au visage. Joakim était encore en train de recoller les morceaux dans sa tête, mais à mesure de la conversation, toute cette histoire lui apparaissait avec une clarté vive.
– Qu'est-ce qu'Ezekiel Roz Bud vient faire là-dedans, dans ce cas-là ?, cherchait encore à comprendre Patsy.
– Il n'y a pas d'Ezekiel Roz Bud.
– Comment ça, « il n'y a pas d'Ezekiel Roz Bud » ? Soit plus clair, s'il te plait !
– Je veux juste dire qu'Ezekiel Roz Bud n'était pas Ezekiel Roz Bud.
– Ce n'est pas plus clair...
Ils venaient enfin de finir de traverser la ville. Ils se tenaient à présent devant la Maison Proconsulaire, au bout de la grande place, gardant leurs distances pour ne pas attirer l'attention des Brassards qui y circulaient.
– C'est la statue d'Ezekiel, fit Joakim en la montrant du doigt. Je ne l'ai pas reconnu tout de suite parce qu'il est bien rasé. Il avait une longue barbe quand je l'ai vu dans le livre de Fili Stair. Je ne savais pas que c'était lui à ce moment-là.
– Il a bien pu se raser, non ?
– Oui, il s'est rasé, évidemment. Il s'est rasé pour ne pas qu'on le reconnaisse. Mais certains l'ont reconnu quand même, des policiers, des gens de la rue qui le voyaient souvent. C'est pour ça qu'il les payait. C'est ce que cette statue représente : il ne distribuait pas son argent par charité, il achetait leur silence.
Patsy s'éclaira alors.
– Ezekiel Roz Bud était Bilz de Kerouez !
Joakim hocha la tête en souriant fièrement.
– Bilz savait qu'il était recherché, continua-t-il à expliquer. Il a embauché les marins orange pour qu'ils l'aident à faire croire que son butin avait été chargé sur son navire. Il fallait que tout le monde en soit convaincu.
– Ils ont fait ce qu'il fallait pour se faire remarquer partout où ils passaient !, dit Patsy.
– Et puis il a fait couler son bateau en faisant croire à un naufrage. Il a ensuite fait jeter quelques pièces d'or dans l'eau de manière à ce que tout le monde pense que son butin avait disparu en mer, mais que personne ne soit vraiment capable de dire où.
– L'auteur du tableau a dû les surprendre !
– Oui ! Ensuite, Bilz s'est rasé pour qu'on ne le reconnaisse pas, et il est revenu en tant qu'Ezekiel Roz Bud, riche commerçant. Tout du long, les pêcheurs orange l'ont aidé. Ils ont dû lui coûter une sacrée fortune, mais il pouvait se le permettre. C'est eux qui ont dû faire graver son B sur sa tombe, sans doute sur ses dernières volontés. J'imagine qu'il voulait laisser un dernier indice pour ceux qui arriveraient à recoller les pièces du puzzle.
– Mais alors, où est le butin ?
Joakim se retourna vers la Maison Proconsulaire à quelques pas d'eux.
– Bilz est censé avoir fait naufrage en 1866. La maison a été construite en 1867. C'est lui qui l'a faite bâtir et il y a vécu jusqu'à sa mort. Je pense que le butin n'a jamais quitté la terre ferme : il l'a fait transporter jusqu'ici, dans la maison, au moment où elle était en construction.
Patsy contemplait le bâtiment avec émerveillement : il aurait aussi bien pu être en or massif lui-même.
– Mais où, exactement ?
– A mon avis, dans le puits, dit Joakim en indiquant celui-ci. Lizig voulait faire évader Mikael en passant par là, elle disait qu'il est sec depuis toujours.
Patsy rayonnait de sourire.
– Ouah !... Et tu as trouvé ça tout seul ! Personne n'aurait pu deviner que ce butin était dans le coin !
– Oui oui, réponditJoakim en repensant à Dani et sa carte. Bon, peu importe. Surtout que le plusdur reste à faire : maintenant il va falloir qu'on trouve le moyen dedescendre dans ce puits.
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Le Pouvoir des Artistes
ParanormalneRejoignez un groupe d'artistes révolutionnaires au moment où l'art devient magique ! A bientôt vingt ans, Joakim ne croit plus aux légendes de son île Celte : en vérité, le monde est beaucoup plus ordinaire que ça. Sa seule chance de vivre une vie...