Des dessins qui bougent

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A vu d'œil, l'atelier consistait en un gigantesque ramassis de tout ce qu'il fallait pour faire une maison, sans que ça n'eût jamais été le but recherché.

L'architecture était hasardeuse : on accédait aux toilettes par un couloir étriqué, à la salle de bain en passant par l'extérieur, pour monter aux chambres il fallait emprunter un vieil escalier de bois à la rampe sculptée, tellement de livres étaient entassés dessous qu'on aurait pu croire que c'étaient eux qui le soutenaient, puis on passait par une passerelle suspendue au très haut plafond pour rejoindre un corridor alambiqué.

Certains murs étaient en tôle grise ou jaune, d'autres en plâtre, d'autres en briques, d'autres en ciment décrépis. Leur couleur était passée depuis si longtemps et il avait dû y avoir tellement de couches de peinture et de papier peint que personne n'aurait su dire comment tout ça avait commencé. Pareil pour le sol, dans une pièce en carrelage, dans une autre en parquet, dans une autre en béton, nu, peint, bleu canard, gris souris, brillant, mat.

Mikael leur expliqua qu'il y avait des portes qui ne s'ouvraient plus jusqu'au bout parce qu'une cloison avait été construite à quelques centimètres derrière.

A l'étage, d'autres livres étaient empilés devant une large fenêtre, au fond un autre escalier, en fer cette fois-ci, grimpait vers une autre ouverture.

La pluie battait sur des trous de plexiglas découpés dans le toit, de la lumière émanait de feuilles de papier sur lesquelles on avait dessiné une ampoule et qu'on avait pendues aux poutres en métal. Les dessins qui couraient sur les murs du rez-de-chaussée continuaient de les suivre à travers l'atelier.

– Il y a une salle pour développer les photos mais on ne l'utilise pas souvent. Là c'est où j'entrepose mon équipement. Celle-ci est pleine de tissus et de matériel de couture, malheureusement notre styliste s'est fait arrêter il y a quelques mois. Depuis on fait ce qu'on peut quand on a besoin de se déguiser, mais ce n'est pas terrible. On se débrouille avec des fausses lunettes et des faux nez.

– Comment tu t'es retrouvé là-dedans ?, demanda Patsy.

– Brewal est mon demi-oncle.

– Ton demi-oncle ?

– C'est le demi-frère de ma mère.

Mikael les fit enfin entrer dans une pièce au parquet blanc et usé et aux murs couverts de dessins au fusain.

– C'est là, fit Mikael. Vous allez voir, on dort plutôt bien. Ça m'arrive de venir ici quand j'ai envie d'être tranquille.

Il n'y avait pour tout mobilier qu'un vieux futon jeté à même le sol, et un autre matelas posé contre le mur, que Mikael fit basculer négligemment de manière à faire apparaître un second couchage.

– Je vais vous chercher des duvets et des oreillers.

Joakim considéra les matelas du coin de l'œil un instant. Mais comme Patsy s'était mise à parcourir les dessins au fusain, il ne tarda pas à la rejoindre.

L'un représentait une foule couverte de parapluies qui marchait sous une averse, un autre le portrait d'une jeune femme, un autre un enfant qui tenait un ballon porté par le vent, et puis un voilier chancelant sur une mer qui battait des rochers, et des oiseaux qui volaient avec grâce, beaucoup d'oiseaux. Ils entendaient leurs chants, les rires de l'enfant au ballon, le bruit de la pluie et du vent, ils sentaient le souffle frais sur leur peau, le parfum de l'iode.

Mikael revint les bras chargés, il les vida en vrac sur les futons.

– C'est toi qui les as faits ?, demanda Joakim sans détacher les yeux des dessins.

Le Pouvoir des ArtistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant