Une auberge

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La sonnette de chez Joakim sonna comme un éclat de rire. Il ouvrit la porte : Patsy se trouvait derrière.

– Monstre de l'espace ?

Elle était habillée d'une fourrure en poils longs et roux.

– Pas du tout, je suis une vache Highland.

– Je ne crois pas que ce soit une soirée déguisée.

– Ce serait dommage : c'est Halloween, quand même.

Joakim s'habilla de façon tout à fait ordinaire, et ils sortirent tous les deux.

La nuit était calme et fraîche, seulement éclairée de la multitude de bougies que les gens avaient laissées sur le rebord de leurs fenêtres. Avec sa fourrure, Patsy avait une démarche bizarre. Les passants qu'ils croisaient détournaient le regard en remontant le menton.

– Je ne comprends pas pourquoi je suis la seule à être en costume.

– C'est pareil chaque année. On ne se déguise pas pour Halloween sur l'île de Kembac. Même chez toi, personne ne le fait.

– C'est parce que ma mère est druide.

– Non, c'est parce qu'on ne se déguise pas pour Halloween sur l'île de Kembac.

Patsy ne répondit rien, Joakim profita du silence. La nuit et les bougies lui donnaient l'impression qu'ils se trouvaient au fond d'une grotte. L'impression qu'ils étaient tout petits. Les idées se bousculaient dans sa tête, tellement qu'il lui fallut du temps pour se rendre compte qu'il était en train de se ronger les ongles.

Patsy se remit rapidement à parler.

– J'espère que ça ne va pas durer trop longtemps. De toute façon, à quoi ça sert toute cette organisation ? Enfin, je sais que toi tu aimes bien que tout soit planifié. Moi je m'ennuie vite dans ce genre de réunion. Surtout que ça ne devrait pas être si compliqué d'aller chercher une photo dans un musée. Sauf si Soverinn Donn est dans les parages, peut-être. Tu as peur de Soverinn, toi ? Moi je me demande bien ce qu'il a de si terrible...

Elle parlait encore quand ils arrivèrent à l'atelier. Mikael leur ouvrit.

– Pas mal ton monstre de l'espace.

– Je suis une vache Highland, dit Patsy en entrant. Ouah !!

A l'intérieur, des bougies de toutes les dimensions reposaient sur la table et sur les meubles autour. Brewal était en train de contempler son Granit, Shona remplissait une gamelle de gravillons pour Rezennet, Biddy relisait les lettres de son fils dans un fauteuil du salon. Elle rigola en voyant le costume, puis redevenant aussitôt sérieuse, elle leur fit des signes de main.

– Elle dit que les portes sont ouvertes ce soir, traduisit Mikael. Il faut faire attention.

Et comme il pointa les murs autour d'eux, Joakim et Patsy s'aperçurent que les ombres projetées par les bougies, découpées par toute la variété d'objets qui traînaient devant, ressemblaient à des monstres qui s'affrontaient sinistrement. Joakim fut parcouru d'un frisson. Patsy sourit et partit en gambadant pour les observer de plus près.

– Tu ne devrais pas trop t'approcher des flammes, dit Shona. Tu pourrais mettre le feu à ta fourrure.

A ce moment-là, la porte d'entrée s'ouvrit violemment. Rourke apparut sur le seuil. Il entra en bourrant un coup d'œil mauvais à Joakim. Derrière lui suivirent un homme un peu ventru avec une grosse moustache, un autre grand et maigre, une femme en kimono aux yeux fins, et...

– Elgud ?! Qu'est-ce que tu fais là ?

– Joakim ! Patsy ! Ça alors ! Aaaahhhh !!!!

Rezennet s'approchait des nouveaux arrivants en montrant les crocs.

– Couché, dit Rourke. Pourquoi t'es déguisée en vache, toi ?

Patsy sourit mais elle ne trouva rien à répondre.

– Qu'est-ce que tu fais là ?, demanda Joakim à Elgud.

– Oh, rien de spécial, fit celui-ci les yeux toujours rivés sur Rezennet. J'ai entendu dire que ces gens cherchaient de l'aide, alors je suis passé voir comment je pouvais me rendre utile, voilà tout.

Mais Joakim remarqua qu'il avait glissé un mouchoir de carrés multicolores dans la pochette de sa veste. Et puis, Elgud oublia la gargouille pour contempler l'intérieur de l'atelier.

– Ouah !!, fit-il à son tour.

Seulement il ignora les bougies : il se rendit plutôt aux livres empilés sous l'escalier.

– « La vraie histoire de l'île de Kembac », de Fidweten Filberzh ! « Plouanna secret », d'Abram Iverna ! « Ma rencontre avec les pêcheurs légendaires de l'île », de Fili Stair !

Rourke l'interrompit.

– Elgud, tu ne voulais pas visiter l'atelier avec les autres ?

– Si si, bien sûr. Pardonnez-moi. Vous avez là des livres tout à fait remarquables. Voilà bien longtemps que je n'avais pas vu certains d'entre eux. Connaissez-vous seulement la vraie histoire de Fidweten Filberzh ?

Et il commença à la raconter tandis qu'ils montaient tous ensemble à l'étage. Shona les regarda s'en aller du coin de l'œil.

– Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée de ramener autant de monde ici. On prend des risques.

– On n'a pas vraiment le choix, fit Brewal. Et c'est exceptionnel.

– Ça n'en est pas moins dangereux.

Joakim n'écoutait que d'une oreille : pendant que Patsy éteignait les poils de sa fourrure que des bougies venaient d'enflammer, il se rendit sous l'escalier et il se mit à fouiller parmi les livres.

– « Ma rencontre avec les pêcheurs légendaires de l'île », dit-il pour lui-même quand il eut mis la main sur celui-là.

Il le sortit de la pile et il parcourut les premières lignes.

Mais il releva immédiatement les yeux : il n'était plus dans l'atelier, il était au milieu d'une auberge. La lumière était faible, le plafond était bas, le sol était sale. Dans un coin près du comptoir, une femme serrait son enfant contre elle. L'enfant observait le coin opposé de la pièce. Joakim suivit son regard. Il découvrit une table où buvaient trois hommes. Ils étaient habillés de vestes et de chapeaux de toile orange.

– On va commencer, dit la voix de Brewal dans son dos.

Joakim se retourna vers lui : il était de retour dans l'atelier. Il secoua la tête, baissa les yeux vers le livre.

– Je peux vous emprunter ça ?, demanda-t-il.

– Pourquoi faire ?

– Comme ça, je suis curieux de voir ce que ça raconte... Je vous le ramènerai vite.

– Humm. Non. Je veux pas que quelqu'un chez toi se demande où tu l'as trouvé.

Joakim lui fit des yeux de chien battu. Brewal poussa un petit grognement.

– Tu pourras revenir le lire ici si tu veux, dit-il, avec quand même un air pas commode.

Joakim esquissa un sourire. Ils rejoignirent les autres autour de la table.

Le Pouvoir des ArtistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant