Ezekiel Roz Bud

7 2 0
                                    

– Et du coup Elgud est toujours chez toi ?!

Patsy s'était arrêtée de déambuler, elle jeta un coup d'œil vers Joakim, de l'autre côté du vieux cimetière. Lui continuait de passer en revue les tombes plantées en désordre au bord de la falaise.

– Oui, il est toujours là, répondit-il sans relever la tête. Et il n'est pas prêt de repartir : maman lui a proposé de rester pour le réveillon du nouvel l'an.

La plupart des pierres tombales étaient tellement rongées par le temps et couvertes de taches de lichen blanches ou jaunes, qu'il avait du mal à déchiffrer les noms et les dates gravées dessus.

– Tant mieux si tout est arrangé entre eux, fit Patsy en se remettant à chercher. Mais j'avoue que je ne comprends pas pourquoi il ne rentre pas chez lui.

– Il a peur, c'est tout. L'attaque des Brassards à l'atelier l'a pas mal secoué. En plus, maintenant qu'il est dans un environnement créatif, comme il dit, il est plus inspiré que jamais. Il passe ses journées à écrire des poèmes. Et puis il les récite à Lizig, qui de son côté n'arrête pas de me harceler pour qu'on aille libérer Mikael. Comme si on avait une chance...

– Et pendant ce temps-là, Soverinn est sûrement en train de progresser.

– Oui. J'aimerais ne plus avoir à penser à tout ça. Soverinn, l'Inneal, le monde qui est menacé...

Joakim s'arrêta à son tour et il enveloppa le cimetière d'un regard d'ensemble.

– En tout cas, ça fait du bien d'être un peu au calme. Même si on ne trouve rien, ça aura valu le coup de venir ici.

– Tu crois vraiment que les marins orange transportaient le butin de Bilz dans leurs caisses ?

– Je n'en sais rien. Si on avait trouvé pour l'enterrement de qui ils sont revenus, ça nous aurait peut-être aidés à comprendre. Mais je ne vois pas pour qui ça pourrait être, ce « B » sur les caisses et sur le bateau, si ce n'était pas pour « Bilz »...

Patsy s'arrêta devant l'une des croix celtes.

– Pour « Bud » ?, fit-elle en y pointant le doigt.

Joakim la rejoignit, et en voyant le texte gravé sur la tombe, il crut recevoir une gifle.

Le nom était : « Ezekiel Roz Bud ».

Et ce qui l'avait frappé, c'était que le B de « Bud » était calligraphié de la même manière que celui qu'il avait vu dans le livre.

– Ezekiel Roz Bud ? Le bienfaiteur ?! Enfin je veux dire : c'est lui qui a fait construire la Maison Proconsulaire, non ?

– Oui, c'est ça. Il y a même une statue de lui dans la cour. Il était réputé pour beaucoup donner aux pauvres.

– Moi j'en ai surtout entendu parler parce qu'il finançait la police Proconsulaire. D'ailleurs, c'est sûrement pour ça que la Grande Nation en a fait un symbole.

– Mais qu'est-ce qu'il vient faire là-dedans ?!, dit Joakim en levant les bras au ciel.

– C'est quand même dommage que tu aies laissé ton Granit chez toi : ça aurait sûrement pu nous aider.

– Je ne vois pas comment. Et je te l'ai dit : j'avais peur de ce qu'il aurait pu faire dans un cimetière.

– Je ne crois pas qu'il ait le pouvoir de réveiller les morts.

Joakim haussa les épaules. Il avait l'impression que quelqu'un était en train de lui faire une mauvaise blague. L'épitaphe ne disait pas grand-chose d'autre, elle confirmait seulement 1901 pour la date de décès, ce qu'Elgud avait à peu près évoqué. Joakim aurait voulu avoir une raison de continuer à chercher.

– Tu entends ça ?, fit Patsy.

Un cliquètement leur parvenait aux oreilles. Ils se rapprochèrent du bord escarpé.

– On dirait le bruit d'une bouteille. Peut-être un message !

– C'est beaucoup trop haut, on ne peut pas descendre ici.

– On n'a qu'à aller au port. Si c'est bien ça, la bouteille nous suivra jusque là-bas. De toute façon, je pense qu'on a trouvé ce qu'on était venu chercher ici.

Ils laissèrent donc le cimetière, ils longèrent la côte puis ils suivirent le chemin qui descendait en direction du port.

Arrivés là, ils s'assirent sur la berge, laissant leurs pieds pendre au-dessus de l'eau, et ils attendirent.

Deux hommes s'affairaient à décrocher les guirlandes de Noël. La neige avait principalement fondu, il n'en restait plus que quelques traces blanches à l'ombre, dans les recoins ou sur les toits. Une patrouille d'Agents Proconsulaires traversa le port, Joakim et Patsy rentrèrent leurs têtes dans leurs épaules. Les Agents passèrent derrière eux pour venir bousculer les travailleurs, ils repartirent sans s'attarder.

– J'ai entendu dire que Dani Bayou s'était engagé, dit Patsy quand ils furent à nouveau seuls. Bientôt il patrouillera lui aussi.

Joakim ne dit rien, il se contenta de serrer les dents. Il regardait un dessin peint sur le mur de la criée à côté d'eux, pas tout à fait terminé. Il représentait un goéland coloré debout sur ses pattes. Son plumage était gris comme un ciel de tempête et blanc comme de l'écume fraîche, et ses yeux perçants et son bec recourbé brillaient d'un jaune de coucher de soleil qui ne finissait jamais. Et en le regardant Joakim se sentait l'envie furieuse d'aller hurler aux Agents Proconsulaires de les laisser tranquilles !

Un bateau de pêche était en train de quitter le port en changeant de couleur, il croisa la bouteille qui arrivait en sens inverse. Ils la regardèrent flotter vers eux lentement.

Quand elle fut enfin à portée, Joakim descendit le long de l'échelle incrustée dans la digue, il l'attrapa au sommet d'une vaguelette. Il la remonta et ils lurent tous les deux avec Patsy :

« Reçu une réponse à nos messages. Ça confirme l'hypothèse d'Elgud : le parc d'Ynys est une bonne piste. Quoi que vous ayez appris là-bas, attendez-moi avant d'aller plus loin. Je serai bientôt là, on s'en occupera ensemble.

Brewal. »

Joakim partit trop vite pour que Patsy eût le temps de le suivre.

Le Pouvoir des ArtistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant