... Wig Ha Wag...

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Kenan Kalon jeta un sac sur son lit et commença à y fourrer ses vêtements. Tous les tiroirs de sa commode y passaient, un à un, à la hâte.

Il s'arrêta net.

Un grincement lointain s'éteignait dans les violences de la pluie et du vent au-dehors.

wig ha wag ha wig ha wag ha wig ha wag

Kenan s'était dressé comme un I, ou plutôt comme un D compte tenu de son ventre rebondi (et même comme un d minuscule, parce qu'il était tout petit). Il tendait ses oreilles grandes comme des coquilles d'huîtres, aux aguets... A part les décorations sculptées dans le bois de la commode qui continuaient de se mouvoir, tout était immobile. Kenan sentait ses bras se couvrir de chair de poule.

L'averse frappait toujours ses vitres, les bourrasques secouaient toujours ses volets, les vagues s'abattaient toujours le long des gros rochers ronds entre lesquels était creusée sa maison. Mais rien d'autre. Plus de grincement.

Il se décida enfin à agir pour en avoir le cœur net.

Il alla jusqu'à la fenêtre près de la porte d'entrée. Avec le mauvais temps, c'était comme s'il faisait nuit à l'intérieur. Seules quelques bougies fragiles empêchaient l'obscurité de tout engloutir. Il s'approcha de la vitre, il écarta le rideau dont les motifs brodés changeaient lentement de forme, juste assez pour y glisser un œil.

Œil qu'il ouvrit tout grand.

Le ciel était gonflé de gros nuages qui jouaient du coude pour s'entasser les uns contre les autres, ils déversaient sur le sol une pluie épaisse et sombre. Et une silhouette décharnée se tenait, immobile, au milieu des pins férocement agités par la tempête.

Kenan fit volte-face d'un coup, s'adossant au mur, agrippant en même temps le pendentif qu'il portait autour du cou. C'était donc trop tard ? Tout était perdu ? Il sentait son cœur s'emballer.

Mais il releva rapidement les yeux et parcourut la pièce devant lui : dans un coin il y avait son lit à présent couvert de vêtements en pagaille, en face sa petite table bleu marine et sa chaise vert bouteille, à côté la cheminée, son brûleur en fonte et ses vieilles casseroles...

Il s'arrêta sur son bureau, et surtout sur l'encrier posé dessus. Puis il descendit le regard sur les bouteilles de verre regroupées devant sur le sol.

Il se redressa.

C'était une idée.

C'était même une idée qui avait une chance de marcher, se dit-il en filant droit vers le bureau.

Ce n'était plus qu'une question de temps avant que Soverinn Donn ne se décidât à venir le chercher. En attendant, il savourait le moment, c'était sûr et certain. Il prenait même un plaisir malsain à endurer le déluge.

Kenan ouvrit le premier tiroir du bureau et en sortit un tas de papiers bruns et une plume qui paraissait immense entre ses doigts potelés. Il trempa la plume dans l'encrier, réfléchit un peu, amena sa main sur le papier, la retira comme s'il s'apprêtait à faire une bêtise. Il commença enfin à écrire, avec précaution. Il fallait faire vite mais il ne pouvait pas faire d'erreur.

Quand il eut achevé, il prit le temps de relire son message, puis il le roula comme un parchemin. Il s'accroupit devant les bouteilles entreposées au pied du bureau, il en saisit une, il glissa son mot dedans et il reposa la bouteille sur le sol.

Il décrocha alors des deux mains le bijou attaché à son cou, le pendentif qu'il empoignait quelques secondes plus tôt. Ce n'était qu'un morceau de granit enroulé dans un fil de cuivre qui pendait au bout d'une ficelle grossière. Mais Kenan le manipulait doucement, comme un objet précieux.

Il l'admira une seconde avec des yeux brillants, avant de le faire rentrer dans la bouteille. Le caillou passa à travers le goulot et tapa le fond du verre en sonnant un petit cliquetis délicat.

Kenan se releva sa bouteille à la main, il la referma au passage d'un coup de paume sur le bouchon, et il allait tourner le dos au bureau mais il s'interrompit. Ses yeux étaient retombés sur les feuilles restantes.

Il considéra la bouteille dans sa main, avec son message et son granit dedans, il considéra à nouveau le tas de feuilles. Il considéra la porte, à quelques pas de laquelle Soverinn devait toujours se tenir. Il reposa finalement sa bouteille et reprit sa plume en grommelant. Et il se mit à écrire négligemment...

Des coups frappèrent contre la porte.

Le Pouvoir des ArtistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant