"Tu es prêt"

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– J'ai fait un dessin de goéland, dit Mikael, j'ai le gris pour le dessus des ailes, je l'ai appelé du « Gris de gros temps » parce que je l'ai récupéré dans des nuages. Il faut encore que je trouve le blanc du reste des plumes, je vais sûrement utiliser du « Blanc d'écume » tout bête. Pour le bec et les yeux, j'avais du « Jaune d'ajonc ». Mais je ne suis pas content de ce que ça donne sur un goéland. J'ai eu une autre idée. Du « Jaune de couchant ».

Joakim fronçait les sourcils. Il essayait de comprendre : « Blanc d'écume » « Jaune de couchant »...

Ils atteignirent enfin le bout du chemin et ils s'y arrêtèrent un instant. L'horizon s'étendait devant eux, à leurs pieds se couchait un gros sable. Les vagues bruissaient sur la plage en brassant des coquillages avec un bruit d'applaudissement silencieux. Le jour n'était plus très haut. A cette heure de la journée, à cet endroit, ils étaient seuls au monde.

– Voilà, dit Mikael en levant les yeux vers le ciel. C'est ça que je veux faire passer dans mon dessin. Que la vie vaut mieux que celle qu'ils essaient nous faire accepter. Si tu vois ce que je veux dire.

Joakim imita Mikael, il huma l'air de la fin de journée. Un fort parfum d'iode y flottait. Les nuages s'étiraient comme les secondes, il eut d'un coup l'impression qu'ils se trouvaient à l'abri du reste du monde, comme à l'intérieur d'une coquille d'huître. Evidemment qu'il voyait ce que Mikael voulait dire. C'était bien pour ça qu'il cherchait le butin de Bilz. Les vagues ressemblaient à une respiration, la mer était tellement calme qu'elle avait l'air de s'endormir. Ils se mirent à la longer, sans rien dire.

– C'est là, dit Mikael au bout d'un moment.

Joakim suivit son regard, du côté où la rive rocailleuse s'élevait à la manière d'un rempart. Elle était couverte de pins tarabiscotés entre lesquels il distinguait quelques maisons de pierre.

– On va récupérer le coucher du soleil dans la fenêtre d'une de ces maisons. On ne sera pas trop de deux. Par ici.

Ils remontèrent vers un sentier qui partait du rivage. Mikael s'arrêta tout à l'entrée. Il descendit le sac de son dos, en sortit une bombe de peinture noire avec écrit sur l'étiquette « Noir d'une nuit sans lune », et un carton, dans lequel étaient découpées la silhouette d'un sablier dans un coin, et la silhouette d'un joueur de cornemuse dans un autre.

– Tu vas vite comprendre, répondit-il seulement aux regards interrogateurs de Joakim.

Il tint alors son carton du côté du joueur de cornemuse contre un petit muret en parpaing qui bordait leur chemin. Puis il appliqua de la peinture dessus, imprimant la silhouette sur le mur.

– Ne t'inquiète pas : ça ne va pas rester, à moins que je ne le décide. Ce n'est pas de la peinture ordinaire.

Elle tombait en effet pile à l'intérieur du trou découpé dans le carton, sans le tacher, sans tacher la main de Mikael. A peine le dessin fut-il terminé, il se mit en mouvement : il installa sa cornemuse en position, et il commença à jouer. Le son de l'instrument retentit dans le sentier ! Joakim se boucha les oreilles.

– Tu n'as pas peur que du monde rapplique ?!

– Personne ne peut l'entendre à moins de le regarder, répondit Mikael.

– Mais là, je ne le regarde plus et je l'entends quand même !

– C'est parce que tu portes le Granit. Demande-lui d'arrêter de jouer.

– Pourquoi tu ne lui demandes pas toi-même ?

– Parce qu'il ne m'obéira pas. C'est toi qui porte le Granit.

Le Pouvoir des ArtistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant