Le Proconsul s'arrêta enfin à leur niveau.
– C'était votre ami, dit-il.
Et c'est seulement que Joakim s'aperçut que Dani Bayou l'accompagnait.
– Il nous a vu doubler la file d'attente alors il a voulu nous rejoindre, mais les gardiens à l'accueil l'en ont empêché.
– Vous auriez pu m'attendre !, fit Dani. Qu'est-ce que vous faites là, d'abord ? Vous aussi vous venez prendre des cours de peinture ?
– Des cours de peinture ?
– Avec le Maître Hampton, dit Dani en le montrant du doigt.
– Non !, fit Patsy d'un air dégoûté.
– Oui !, dit Joakim en même temps.
– Vous pouvez bien sûr vous joindre à nous !, dit Hampton avec un peu de cérémonie.
Les lèvres du Proconsul leur sourirent.
– Bien, je vous laisse alors.
Il fit demi-tour, un Agent Proconsulaire arrivait à sa rencontre au pas de course.
– Ils sont dans les parages, Monsieur. Les peintures se sont mises à bouger !
Le Proconsul lui répondit d'un signe de tête et ils s'en allèrent tous les deux aussitôt.
Joakim et Patsy attendirent de les voir s'être éloignés pour se relâcher un peu.
– C'est bien de vouloir apprendre à créer, disait Alfred Hampton. Bien que ce ne soit évidemment pas facile de comprendre ce que c'est que d'être un Artiste quand on n'en est pas un soi-même.
Il attrapa un pinceau et se mit à le brandir en l'air d'une façon magistrale.
– Vous savez, nous autres, les Artistes, avons pour tâche de transfigurer l'énergie intemporelle qui réside dans l'essence même des choses. Vous voyez ces toiles ?
– On est piégé, dit Patsy entre ses dents. Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
– Je suis toujours en train d'y réfléchir, lui répondit Joakim.
Il continuait de surveiller la galerie par où le Proconsul s'en était allé avec ses hommes. Des Agents Proconsulaires y passaient en courant dans tous les sens.
– Qu'est-ce que c'est, d'après vous ?, continuait Hampton.
– Des toiles !, répondit fièrement Dani.
– Pour vous, ce sont des toiles. Oui. Pour moi, ce sont des fenêtres. Ce sont des hublots. Ce sont des lucarnes. L'artiste doit (et non devrait), signifier une posture hétéroclite sincère, mais transcendantale. Tenez, prenez un pinceau.
Dani obéit aussi vite, Patsy s'y résigna, Joakim laissa ses mains faire ce qu'elles voulaient. Il lui semblait que le sol était mou et qu'il s'enfonçait sous ses pieds. Il jeta à nouveau un œil du côté du couloir au-delà duquel se trouvait la porte de la réserve.
Finalement il reposa son pinceau et partit vers là.
– Où allez-vous ?, fit Hampton.
– Euh... J'ai besoin d'errer, répondit Joakim avec une diction ampoulée. De respirer l'art, de... de parcourir les couleurs... chimériques et... enivrantes, j'ai... besoin de verticalité, et d'horizontalité...
L'Artiste l'examinait d'un air dubitatif, Patsy lui faisait de gros yeux, Dani se concentrait seulement sur son pinceau, le tenant sous ses yeux pour l'observer attentivement. Joakim reprit avec impatience.
– Et de diagonalité...
– Oui, bien sûr, c'est évident, dit enfin Hampton. Allez-y. L'inspiration, voyez-vous, continua-t-il dans son dos pour les autres, est essentielle à l'épanouissement de l'âme artistique...
Joakim s'éloigna en marchant d'un air aérien. Il ne savait pas trop ce qu'il s'apprêtait à faire. Il se grattait le menton en reluquant autour de lui les quelques tableaux qui le dévisageaient toujours. Il continuait aussi de se retourner, de temps en temps, vers le couloir par où le Proconsul s'en était allé. Toujours autant de bazar, toujours personne n'en revenait.
Il déambula encore quelques instants, se rapprochant du couloir.
Il se glissa d'un coup dans le couloir.
La galerie était vide, la lumière blanche du jour tombait par la lucarne percée dans le plafond. Le bruit de ses pas rebondissait contre les murs. Il avait l'impression qu'il venait d'entrer dans une chapelle.
Il remarqua un emplacement vide au milieu des œuvres accrochées aux murs, restait seulement une marque brune de forme rectangulaire, trace d'un cadre qu'on avait retiré.
Il considéra la porte de la réserve au fond. Puis la caméra de surveillance en face, braquée droit dessus. Il s'était arrêté assez loin, elle ne pouvait pas le voir, mais il ne pouvait pas s'approcher davantage.
Il réfléchit une seconde.
Il sortit alors le sac d'origamis de sous son gilet. Et il le retourna vers la caméra et l'agita en l'air.
Les oiseaux de papier s'envolèrent aussitôt comme un nuage de papillons, pour aller s'entasser devant l'objectif. Joakim ne perdit pas un instant : il se précipita sur la porte de la réserve, la franchit et la referma derrière lui : il aurait aussi bien pu se jeter dans le vide !
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Le Pouvoir des Artistes
ParanormalRejoignez un groupe d'artistes révolutionnaires au moment où l'art devient magique ! A bientôt vingt ans, Joakim ne croit plus aux légendes de son île Celte : en vérité, le monde est beaucoup plus ordinaire que ça. Sa seule chance de vivre une vie...