Le musée

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– Il y en a du monde !

Une foule opaque s'agglutinait devant le vieux bâtiment.

– Avec ce qui se passe, le musée doit être devenu l'endroit le plus cool de Plouanna ! C'est dingue qu'on n'ait pas eu l'idée de venir ici plus tôt. Je suis tellement heureuse ! On va bien s'amuser.

Ils rejoignirent la file d'attente.

– En parlant de s'amuser, continuait Patsy, ça te dit de venir avec moi au pub O'Connell, ce soir ? Il va y avoir tout un paquet de supers musiciens ! J'espère bien apprendre de nouveaux morceaux. Je sais ce que tu vas me dire : le pub O'Connell est dangereux. Mais ce n'est pas vrai. Pas tant que ça. Et surtout, ça vaudra le coup ! Nadolig Jernigan sera là ! Tu ne le connais peut-être pas, mais c'est un grand joueur de biniou venu tout droit de Bretagne ! Oh, et il y aura aussi Melwyn Urfol, une super joueuse de violon ! Elle vient de l'Ile de Man, je crois. Non, d'Ecosse. Ou alors c'est Mairi Ke qui vient d'Ecosse ? Elle, elle joue de la harpe... Non, Mairi Ke est galloise. En tout cas elle sera là aussi ! Et puis il y aura...

Pendant que Patsy poursuivait son inventaire, Joakim hésitait à ramasser un des bouts de papier répandus sur le sol autour d'eux. Ils étaient marqués de lignes recourbées, comme celui qu'Elgud lui avait montré dans la cellule de la Maison Proconsulaire.

Il se décida finalement à en attraper un, laissant Patsy parler toute seule, il le déplia avec un peu d'appréhension et il lut : « L'indifférence n'est pas un refuge : c'est une tombe ».

Aussitôt, il crut chuter dans une espèce de trou complètement noir. Il sentit comme une planche lui venir contre le dos et il lui sembla tout à coup être couché dessus. Une odeur de renfermé et d'humidité lui attaqua les narines. Il avança le bras mais il se heurta contre une paroi. Il en rencontra une autre à sa droite, puis à sa gauche : il était enfermé dans une boîte. Il essaya de pousser contre ces murs, mais ça ne servait à rien, et il réalisa alors qu'il n'avait pas peur.

Il s'arrêta de bouger.

En fait, se rendait-il compte, il ne ressentait rien du tout.

Il porta lentement la main sur sa poitrine, écoutant attentivement. Il sentit son cœur remuer quelque part sous son torse. Il tendit à nouveau sa main devant lui. La planche s'ouvrit comme la porte du musée.

Il prit une grande bouffée d'oxygène.

– Ça va Joakim ?

Patsy le considérait d'un œil inquiet.

– Ça va, fit Joakim.

En vrai, il se sentait quand même un peu secoué. Mais ce qu'il découvrit à l'intérieur le ramena rapidement sur Terre.

Tout de suite après l'entrée s'étendait un grand hall aux murs blancs, sur lesquels étaient accrochés de grands tableaux.

Deux escaliers montaient, de part et d'autre de la pièce pour rejoindre des allées à l'étage, le long desquelles d'autres peintures étaient exposées. Les cloisons étaient percées de larges ouvertures, aussi bien en bas qu'en haut, chacune rattrapant le labyrinthe de galeries qui se cachait derrière.

Et devant eux, au rez-de-chaussée comme à l'étage, les nombreux visiteurs passaient d'une œuvre à l'autre avec une excitation d'enfant.

Dans un coin, une poignée d'entre eux était en train de danser bras dessus bras dessous en face d'une peinture. Un peu plus loin, quelques autres pleuraient chaudement. Et tous passaient ainsi d'une attitude à l'autre aussi vite qu'ils changeaient de tableau.

– Les gens sont bizarres.

– Restons concentrés, dit Joakim en faisant semblant de ne pas s'intéresser à tout ça. Le bateau de Bilz de Kerouez a coulé en 1866 : il faudrait qu'on puisse mettre la main sur des tableaux peints vers cette année-là. Va de ce côté, moi je vais aller par là.

Patsy acquiesça de bon cœur. Joakim la regarda s'éloigner, il hésita une seconde. Puis il décida d'aller jeter un œil rapide sur la peinture la plus proche, celle devant laquelle les visiteurs dansaient.

C'était la scène d'un mariage dans une ferme en campagne. Il se posta dans un coin de la toile, à l'écart des autres visiteurs. Il ne lui fallut pas plus de quelques secondes pour commencer à sentir une odeur de viande grillée, pour entendre de la musique, des rires, des cris de joie.

Il fit un pas en arrière, il secoua la tête.

Il aperçut Patsy un peu plus loin, déjà arrêtée, béate face à un dessin de tout plein de formes géométriques entremêlées.

– Des indices pour le butin de Bilz, se dit-il à lui-même.

Il regarda les visiteurs autour de lui, réfléchit une seconde à une méthode pour éviter les effets des tableaux. Il essaya de placer sa main en visière contre sa tête de manière à se cacher les toiles tout en voyant quand même les pancartes à côté qui indiquaient leur titre, leur date et le nom du peintre.

Et donc il se mit, ainsi positionné, à arpenter les galeries.

Il en fit trois sansrien trouver d'intéressant, et tandis qu'il entamait la quatrième en tâtonnanttoujours, il rentra accidentellement dans Dani Bayou.

Le Pouvoir des ArtistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant