Finalement, la situation faillit déraper tout à fait lorsque, l'après-midi du réveillon de Noël, il entendit sa mère s'emporter pour de bon depuis le rez-de-chaussée.
– Qu'est-ce que c'est que ce bazar ?, grondait-elle comme une tempête qui se lève.
Joakim descendit en catastrophe, sa sœur avec lui : ils la découvrirent sur le seuil de la salle à manger. Une odeur de verdure y flottait, leur sapin avait été vidé de ses décorations, elles étaient entassées sur la table au milieu d'un bric-à-brac confus mêlant des branches mortes, des vieux journaux, des pelotes de laine, des petites peluches, des moules à cookies, des ampoules, des boîtes de conserves, des oranges, des ciseaux, de la peinture, et encore plein d'autres trucs et plein d'autres machins.
Elgud bricolait là-dedans, il accueillit la famille Even avec un grand sourire sans remarquer la fumée qui n'était pas loin de sortir des oreilles de leur mère.
– C'est pour refaire vos décorations de Noël, dit-il joyeusement.
– Et pourquoi voudrait-on refaire nos décorations de Noël ?
– Mais parce que celles-ci sont terriblement ennuyeuses !
Joakim vit sa mère virer au rouge.
– Eh bien c'est dommage qu'elles ne vous plaisent pas ! Mais si c'est comme ça, vous pouvez toujours aller en trouver d'autres ailleurs !
Elle déguerpit sans lui laisser le temps de répondre. Mais elle revint dans la seconde :
– En fait, allez-vous-en tout de suite ! Trouvez-vous une autre maison à parasiter ! J'en ai assez de vous voir ici !
Et elle repartit à nouveau.
– Tu ne peux pas le mettre dehors le jour de Noël !, dit aussitôt Lizig en lui emboîtant le pas. Juste parce que tu n'es pas d'accord avec lui ? C'est de la tyrannie !
Tandis que le ton montait entre elles dans la pièce d'à côté, Elgud poursuivait ses bricolages comme si de rien n'était. Joakim était resté planté là, à le regarder faire. Il sentait sa nuque se raidir.
– Il faut que tu t'en ailles, lui dit-il tout bas. Si tu restes là, ma mère va finir par appeler les Agents Proconsulaires. Et s'ils viennent ici, ils trouveront le Granit, c'est certain !
– Je ne peux pas partir maintenant, il faut que je finisse ça d'abord.
– Que tu finisses ça ? Et après, tu t'en iras ?
Elgud remua la tête bizarrement.
– Oui oui, bien sûr.
Joakim le regarda encore un instant. Il se retourna vers la cuisine, d'où les cris de sa mère et de sa sœur lui venaient de plus en plus forts, il se retourna vers Elgud qui se mettait à chantonner tranquillement. Il prit une grande inspiration et il se vida les poumons comme un ballon crevé. Il alla s'asseoir à côté de lui.
– Qu'est-ce que tu fais ?
Durant deux bonnes heures, il l'aida sans poser de question. Sa sœur s'était rapidement jointe à eux pour mieux faire enrager sa mère. Celle-ci passa une première fois dans la pièce mais elle n'osa rien dire. Joakim l'entendit seulement faire tout le bruit qu'elle pouvait, pour quand même bien montrer qu'elle n'était pas d'accord.
Mais lorsqu'elle repassa un moment après, elle s'arrêta sur le palier.
Joakim suivit alors son regard émerveillé sur le sapin rempli de bois peints qui clignotaient, de papiers journal étincelants de dorures, d'étoiles fabriquées avec des bouts de brindilles qui tournaient sur elles-mêmes, de peluches qui se balançaient joyeusement sur des petits trapèzes de branches.
Le feu crépitait dans la cheminée, Hanternoz était allongé sur le parquet devant, il donnait des coups de patte paresseux à l'un des tortillons de peau d'orange qui pendouillaient de l'arbre.
Dans tous les coins de la pièce, il y avait des petits jouets en bois et des personnages faits de morceaux de ferraille, maladroitement bricolés. Ils dansaient, jouaient, se baladaient dans la pièce.
La neige tombait derrière la fenêtre embuée. Sur le mur à côté, Lizig finissait d'accrocher une couronne nouée de rubans d'or et de pommes de pin, de brins de gui et de lumières.
Joakim attendait que sa mère eût fini de faire le tour. Elle arrêta enfin son regard sur la table, autour de laquelle Elgud tournait encore. Il avait tiré une nappe finement brodée, elle était recouverte de paillettes qui renvoyaient les reflets d'un soleil sur une rivière. Des assiettes et des tasses sorties d'il ne savait où y étaient disposées, toutes différentes les unes des autres, dessus des formes géométriques se mouvaient ou des dessins de fleurs fleurissaient sans cesse.
A côté, Elgud était en train de déposer des photos de leur famille. Il ramassa sur la table une orange enveloppée dans du papier journal, il la donna à Joakim.
– Tant que j'y étais, je nous ai mis la table pour ce soir, fit-il en même temps.
Son regard croisa celui de la mère de Joakim. Il lui sourit machinalement. Elle lui sourit en retour. Elle jeta un dernier coup d'œil sur la salle, et elle repartit sans ajouter un mot.
– C'était cool, fit Lizig en embrassant Elgud sur la joue.
Elle s'en alla derrière sa mère. Elgud remit son béret comme il fallait.
– Elgud, fit Joakim en fronçant les sourcils. Pourquoi tu m'as donné ça ?
Il lui montrait l'orange dans le journal.
– Oh, oui, c'est vrai, je ne t'ai rien dit. C'est parce qu'en voyant ça ensemble, je me suis souvenu pourquoi les pêcheurs orange étaient revenus à Plouanna.
Joakim écarquilla les yeux. Elgud tapota le papier dans ses mains.
– C'est la rubrique nécrologique.
– Et alors ?!
– Alors, ils étaientrevenus assister à un enterrement !
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Le Pouvoir des Artistes
ParanormalRejoignez un groupe d'artistes révolutionnaires au moment où l'art devient magique ! A bientôt vingt ans, Joakim ne croit plus aux légendes de son île Celte : en vérité, le monde est beaucoup plus ordinaire que ça. Sa seule chance de vivre une vie...