A propos de l'Inneal

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Quelque part au fond de lui, Joakim savait bien ce qu'il était censé faire : aller récupérer son Granit là où il l'avait abandonné.

Mais tout cela avait-il encore un sens ?

Le monde n'avait jamais été menacé, ce n'était qu'un mensonge stupide de l'Association pour trouver de nouvelles recrues, et il avait été assez stupide pour y croire.

La nuit continuait de s'évaporer, la ville en émergeait lentement, et il avait l'impression d'être au fond de l'eau tellement il était fatigué. Il ne se sentait plus capable de réfléchir, la seule pensée qui restait dans son cerveau était : que faisait-il là ? Mais ça ne l'empêchait pas de s'élancer à travers les rues encore assoupies, sans penser à la direction qu'il prenait, marchant d'un pas résolu.

Il s'arrêta finalement au bout de la place de la chapelle Saint Kemo.

Un imperméable jaune avec une barbe se tenait dans un coin, l'ombre massive de la chapelle avait l'air de se pencher sur lui.

Quand il dut apercevoir Joakim, Brewal se redressa. Les formes des vitraux bougèrent au-dessus de lui comme des nuages dans la nuit, les silhouettes granitiques des gargouilles suivirent son mouvement. Il avait donc un Granit avec lui... Tout compte fait, est-ce que ce n'était pas lui, le traître, dans l'histoire ? Joakim sentait la colère lui ronger les entrailles.

Il partit d'un coup, droit vers lui. Il ne se laissa même pas ralentir quand il commença à distinguer l'air stoïque avec lequel Brewal l'attendait, une serviette aussi jaune que son ciré dans les mains.

Arrivé à son niveau, le vieux marin lui tendit la serviette d'un geste ferme.

– Ça peut être dangereux d'utiliser les effets de l'art sur soi. Tu devrais faire attention.

Joakim jeta un œil sur ses mains, ses habits : ils étaient toujours noirs comme un recoin. Il attrapa la serviette et il se mit à s'essuyer avec.

– Vous avez mon granit ?, demanda-t-il en même temps.

Et il leva les yeux vers la chapelle animée. Brewal s'y retourna brièvement lui aussi.

– Il faut qu'on se dépêche, reprit-il sans réagir. On va avoir besoin d'Elgud, Patsy est partie le chercher. Vont nous attendre.

– Vous n'avez pas répondu à ma question, dit Joakim en lui rendant sa serviette pleine de peinture.

Brewal la jeta sur son épaule. Il souffla un peu des narines, puis sans hâte il ouvrit une des poches de son ciré, il plongea la main dedans. Et il en tira le Granit, pendouillant au bout de sa grosse ficelle.

– J'étais pas loin derrière toi quand tu t'es fait arrêter. J'ai profité de l'agitation.

Il déposa ensuite la pierre avec son autre main et il ferma son poing massif dessus.

– Patsy a fini par me dire que vous aviez trouvé votre trésor. Avec ça, le Proconsul nous laissera passer. Aucun doute.

– Vous comptez me le rendre ?

Brewal prit une seconde. Il tendit son poing et l'ouvrit lentement. Joakim se saisit de la pierre.

– Le monde est toujours en danger, fit Brewal d'une voix sombre.

– Arrêtez, répondit Joakim d'une voix plus sombre encore. Je sais que vous mentez.

La nuit resta un peu silencieuse, le temps resta un peu immobile.

– Tu vas prendre ça comme une excuse pour laisser tomber ?

– Pourquoi vous avez fait ça ?? Pourquoi vous avez menti ?!

Le Pouvoir des ArtistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant