Rien ne se passe comme prévu

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Il fut décidé que ce qu'on ne pouvait pas appeler autrement que le cambriolage aurait lieu le samedi suivant.

Ce jour-là, la pluie tombait drue sur l'atelier. Des goélands perchés sur les épaves de bateaux attendaient la fin des averses pour retourner pêcher.

Tout seul à table, Joakim observait Jean-François dans la cuisine, occupé à préparer son plat. Un œil sur un livre intitulé « Recettes secrètes des fées », il était en train de renifler les volutes qui s'échappaient d'une casserole. Il ouvrit un pot d'épices, dont il renifla le contenu, en saupoudra un peu dans sa préparation, puis renifla sa louche avant de s'en servir pour mélanger. Rezennet était assise à côté de lui et le fixait de ses yeux horribles en se léchant les babines. Le cuisinier la considérait d'un regard de coin, l'air de se demander ce qui la mettait en appétit comme ça : le plat qu'il préparait ou lui ?

Joakim n'était pas sûr de comprendre pourquoi tout le monde autour de lui avait l'air si confiant. Honnêtement, ce n'était pas comme s'ils avaient l'habitude du succès. En attendant que le plat fût prêt, il décida de sortir une nouvelle fois les origamis du sac sous son gilet et il se remit à les compter. Il avait veillé à en prendre beaucoup plus que nécessaire, au cas où. Il avait aussi prévu d'emporter un deuxième marqueur, des fois que le premier ne fonctionnerait plus. Il vérifiait régulièrement que la poignée de porte était toujours dans la poche où il l'avait mise, et que son Granit était toujours attaché autour de son cou.

Shona choisit une assiette creuse tout spécialement en précisant qu'il fallait la bonne faïence pour que le plat fît le meilleur effet. Jean-François y déversa sa préparation sans précaution : tout tomba à sa place comme s'il avait dressé l'assiette méticuleusement. Brewal se prépara un thé aux algues pour observer Joakim sans en avoir l'air, tandis que celui-ci se mettait à manger.

Le goût valait bien l'odeur ! C'était toute une histoire, des péripéties de saveurs et de parfums ! Tout ça le remplit de l'intérieur en irradiant une espèce de chaleur animale dans ses muscles. Il ne fallait pas tarder, expliqua Jean-François : l'effet ne durerait qu'une heure ou deux, puis il s'amenuiserait au fur et à mesure de la digestion.

La pluie avait cessé, les goélands étaient repartis pêcher.

Joakim, Patsy et Elgud prirent la route.

Une fois arrivés dans le centre ville, Elgud leur souhaita bonne chance, il sortit son calepin et il s'en alla de son côté en marmonnant gaiement. Joakim commençait à se sentir inconfortable. Mikael avait préparé le chemin ces derniers jours, réveillant tout l'art qu'il avait trouvé dans les rues, pour autant il avait l'impression que tout le monde les zieutait avec un air suspicieux.

A mesure qu'ils avançaient vers le musée, il lui semblait qu'ils se rapprochaient d'une ruche : il y avait de plus en plus de gens partout.

Sur place, quelques Agents Proconsulaires montaient la garde près de l'entrée du bâtiment, d'autres n'arrêtaient pas de traverser devant en long et en large pour aller bousculer les passants, qui ne manquaient pas alors de s'excuser platement.

– Si on voulait faire demi-tour, ce serait le moment ou jamais, fit Patsy en regardant passer un fusil d'assaut entre les mains d'un Brassard, à quelques pas d'eux.

Joakim l'ignora. Il plongea dans la foule, en direction du musée. Tout irait bien, se répétait-il intérieurement. Il n'y avait pas de raison d'en douter : tout avait été pensé et repensé mille fois.

Filant droit vers la ruelle le long du bâtiment, ils dépassèrent la fin de la file d'attente qui s'allongeait devant l'entrée.

Tout de suite après ils se stoppèrent net, tous les deux en même temps.

Le Proconsul arrivait par le côté.

Joakim cessa de respirer.

– Tiens, je vous reconnais vous deux !

– Bonjour Monsieur le Proconsul Anthony, bégaya Patsy avec une voix étranglée.

En même temps, ils firent tous les deux un pas en arrière, mine de rien, pour rattraper la file d'attente. Le Proconsul bifurqua pour les rejoindre.

– Qu'est-ce que vous faites là ?, leur demanda-t-il amicalement.

– On vient se balader, bredouilla Joakim. Au musée.

Le Proconsul était radieux, deux Agents Proconsulaires en tenue de combat l'escortaient quelques pas derrière.

– On vient se balader.

– Vous l'avez déjà dit, mon garçon.

– C'est pour voir les tableaux...

– Je vois, je vois, répondit le Proconsul. Ne m'en dites pas plus... Toujours cette histoire de trésor, n'est-ce pas ? Vous voyez, je me souviens ! Allez, venez : je vais vous faire passer.

Joakim et Patsy se jetèrent un regard glacé.

– Euh... Non non, pas besoin. C'est gentil mais... on adore faire la queue.

– Ne dites pas n'importe quoi, voyons. Ça me fait plaisir ! Et puis je suis conscient que je n'ai pas été très sympa la dernière fois qu'on s'est vus. Je venais d'être assommé par la peinture d'une bombe, j'avais beaucoup de travail... Enfin bref. Si je peux vous rendre service, ce sera avec plaisir. C'est important que les jeunes comme vous compreniez que je ne suis pas votre ennemi ! Suivez-moi.

Et il s'en alla déjà vers l'entrée, laissant Joakim et Patsy face à ses gardes armés. Ils n'osèrent attendre qu'une seconde de plus. Ils baissèrent la tête et ils le rattrapèrent, longeant derrière lui la file d'attente sous l'œil envieux de ceux qui y patientaient.

Joakim avait l'impression que quelque chose venait de s'effondrer quelque part.

– On ne peut pas entrer dans le musée, dit Patsy tout bas. Brewal a été clair ! Toutes les peintures vont se mettre en mouvement !

– Je sais ! On va se faire repérer. Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ?!

– En parlant d'ennemi, reprenait le Proconsul devant eux, vous n'avez pas croisé Mikael Lagadeg depuis la dernière fois, par hasard ? Ou peut-être même Brewal Kozhiliz ?

– Non, répondit Patsy anormalement fort.

Joakim regarda ses chaussures.

– Restez vigilants, dit le Proconsul en leur jetant un coup d'œil par-dessus son épaule. Surtout vous, jeune fille.

Joakim avait la bouche sèche. Il n'arrêtait pas de se retourner vers les Agents Proconsulaires qui les suivaient à quelques pas derrière.

Ils franchirent la porte, le bâtiment les avala comme une vague gigantesque qui s'abattait sur eux.

Ils dépassèrent l'accueil.

Un vacarme se fit alors entendre dans leur dos.

Le Pouvoir des ArtistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant