Convoqué

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Joakim se réveilla après de courtes heures d'un sommeil agité.

La matinée était déjà bien engagée, il aurait voulu traîner un peu au lit mais il sentait qu'il y aurait passé la journée, alors il se força à se lever. Il descendit à la cuisine, une douce odeur de soupe aux algues embaumait la pièce. Sa mère était en train de préparer le repas.

– Eh bien il était temps, fit-elle en le voyant arriver.

Il l'embrassa et alla prendre son bol dans le placard. Le personnage dessiné dans le fond de la faïence se mit à lui tirer la langue.

– J'allais venir te réveiller, dit sa mère. Tu as reçu ça.

Elle lui montrait une enveloppe déjà ouverte, posée sur la table. Joakim posa son bol, alla chercher la lettre et la parcourut rapidement. Et il eut l'impression que le sol cédait sous ses pieds au moment où il lut : « ...convoqué à la Maison Proconsulaire... ».

Pas ça.

– Tu as une idée de ce qu'ils veulent ?, demanda sa mère.

Joakim tombait en chute libre. Il continuait de lire la lettre, en vérité ses yeux voyaient les mots mais son esprit n'était plus capable de les déchiffrer. Il cherchait une issue, comme la veille parmi les flammes.

– Joakim, dit sa mère d'un air sombre, tu n'as rien fait de mal, j'espère ?

Joakim hésita une petite seconde.

– Non.

– Je vous l'ai dit depuis le début : il va y avoir des problèmes. Ce qui se passe avec l'art et tout ça ? Ce n'est pas normal. Je vous l'ai dit. J'espère seulement que tu n'as pas fait de bêtises. Va te préparer, dépêche-toi : tu es censé y être avant midi et il ne faut pas que tu sois en retard.

Joakim s'empressa d'obéir, il fila dans sa chambre.

Son cœur avait déraillé, il battait en pagaille. Pendant qu'il s'habillait, son reflet à moitié transparent dans la vitre avait l'air d'agir tout seul.

Une question inattendue s'était installée dans sa tête : en fait, pourquoi fallait-il qu'il y aille ? C'était de la folie. On allait l'arrêter, le juger, peut-être l'exécuter, au minimum l'enfermer pour des années. C'était fini pour lui, dans tous les cas sa vie était perdue. Il ressortirait dans longtemps, après avoir vécu pour rien, avec plus rien à vivre. Ça n'avait pas de sens.

Mais pouvait-il prendre le risque de ne pas obéir à une convocation de la Grande Nation ? Parce que dans ce cas-là, quelle différence ça ferait ? Il n'aurait plus qu'à fuir, on le traquerait. En plus, cette convocation, ce n'était peut-être rien, essayait-il de se convaincre en quittant la maison.

Le ciel était uniformément gris, comme si ça avait été sa teinte naturelle. Un vent méchant soufflait de l'Est. Joakim réalisa qu'il n'avait pas dit au-revoir à sa mère. Aurait-il dû lui dire adieu ? Reviendrait-il chez lui ? Etait-ce la dernière fois qu'il traversait ces rues ?

Ses jambes le transportaient malgré lui, il les força à faire un détour par le port pour voir les maisons et les bateaux changer de couleurs. Il ne s'arrêta pas. Il se rendit seulement compte en passant qu'il ne se lassait toujours pas de tout ça.

Arrivé au pied de la chapelle Saint Kemo, toujours sans s'arrêter, il jeta un œil en l'air, vers les vitraux et les gargouilles. Il remarqua pour la première fois que l'une d'elles manquait. Sans doute là où siégeait Rezennet. Il repensa à comment elle avait fini, à la violence de l'attaque de l'atelier. A celle de la forêt de Dervenn pas plus tard que la veille. A Cassano disparu pour des siècles, après des siècles d'une existence paisible. Au Proconsul qui avait gagné, à chaque fois, d'une manière ou d'une autre. Au Proconsul qui allait gagner une fois de plus contre lui. Au Proconsul qui gagnait toujours.

Le Pouvoir des ArtistesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant