Prisonniers

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De tous les Agents Proconsulaires, Gromallo était le plus méchant et le plus stupide. Il prenait grand plaisir à persécuter ceux qu'il jugeait coupables, et plus encore ceux qui avaient le toupet d'être innocents.

Il n'était pas encore clair sur la catégorie dans laquelle il plaçait Joakim, ça ne l'empêchait pas de l'escorter le long des rues de Plouanna, marchant la tête haute, s'appliquant à mettre son brassard violet bien en évidence. Les gens s'écartaient devant eux en lui souriant, pour lancer ensuite à Joakim un regard réprobateur.

Joakim, pour sa part, était sombre et bouillonnait, il maudissait sa sœur intérieurement. Quelle gamine ! Quand allait-elle comprendre qu'elle se battait pour rien ? Il aurait voulu pouvoir se cacher sous son chapeau, mais Gromallo lui avait ordonné de le retirer. Par dépit, il le faisait tourner nerveusement dans ses mains.

– Arrête de jouer avec ce truc, lui disait Gromallo avec sa voix de montagne.

Joakim faisait trois pas quand lui n'en faisait qu'un, il sentait presque le sol trembler à chaque fois que ses pieds frappaient le sol.

– Tu vois ce qui arrive quand on ne respecte pas la Grande Nation. Que ça te serve de leçon.

– Je ne vois pas ce que j'ai fait de mal, dit Joakim.

– Tu circules sans ta carte d'identité ! C'est formellement interdit, un point c'est tout. Tu n'as qu'à être en règle. Pas besoin d'en discuter.

Ils avaient quitté le port et ses maisons colorées pour rejoindre les rues pavées des environs de la chapelle Saint Kemo.

Au détour d'une des ruelles, d'autres Agents Proconsulaires ressortaient d'une maison en traînant avec eux un homme chétif qui les plaignait de devoir faire un travail aussi difficile que le leur. En passant devant, une statuette de bois nichée dans l'angle tira agressivement la langue à Joakim.

– Ne fais pas attention à elle, dit Gromallo. Tu devrais plutôt réfléchir à ton comportement, au lieu de t'intéresser à des statues qui bougent. En plus, elles ne bougent pas tant que ça. Et arrête un peu de jouer avec ton chapeau ridicule !

Ils rattrapèrent rapidement les hautes et riches bâtisses du quartier qui avoisinait la Maison Proconsulaire.

En s'engouffrant entre les vieux immeubles de pierre, Joakim n'en menait pas large. Il se tordait le cou et rentrait sa tête dans ses épaules pour les regarder s'allonger étrangement au-dessus de lui.

La Maison Proconsulaire paraissait encore plus grande et plus menaçante que la dernière fois qu'il était passé par là. Le drapeau violet de la Grande Nation flottait sur l'une de ses tourelles en claquant sombrement.

Joakim ralentit, le temps de traverser la cour dallée qui menait à la porte de bois gigantesque. En la passant, il fut saisi par le froid.

Ils longèrent un couloir haut de plafond et resserré.

Ils émergèrent enfin dans une salle assez vaste, où la lumière du jour ne pénétrait qu'à peine. De la moquette fuchsia couvrait le sol, les murs étaient décorés de dorures ternies et de portraits souriants du Proconsul, avec son uniforme blanc et son écharpe violette portée en bandoulière.

Joakim suivit Gromallo jusqu'à un bureau derrière lequel quelques secrétaires discutaient une tasse à la main.

– Agent Gromallo au rapport !, dit-il en se mettant au garde-à-vous. Le Proconsul Anthony est revenu ?

– Non, pas encore, répondit l'une des secrétaires. C'est pour quoi ?

– C'est pour ça, fit-il en montrant Joakim. Je vous le mets où ?

– D'où vient-il ?, demanda une autre secrétaire avec la même voix aigüe.

– Du port.

– Il était dans l'une de ces maisons qui changent de couleur ?, fit une troisième.

– Non, il était dans le public. Soi-disant qu'il était venu pour voir le défilé de cornemuse.

– Pourquoi le ramener ici, alors ?

– Je déteste la cornemuse. Et puis, il n'était pas en règle : « incapacité à présenter un justificatif d'identité à la demande d'un Agent Proconsulaire assermenté ».

– Bon. Mettez-le derrière avec les autres. Un subalterne du Proconsul va venir l'interroger.

Gromallo saisit Joakim par le bras et le tira violemment jusqu'à une petite cage où quelques personnes étaient déjà entassées. Il l'assit sur un banc de pierre, lui grogna d'attendre là, et repartit en faisant toujours trembler le sol sous ses pas.

Joakim essaya de desserrer le col de sa chemise. Il remit son chapeau sur sa tête et il jeta un coup d'œil autour de lui : les autres prisonniers, même avec leur costume de fête, semblaient piteux et désolés.

– Sois tranquille, Joakim, je suis sûr qu'on ne va pas rester là longtemps.

– Elgud ?!

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