... Et puis elle redescendit aussi lentement qu'elle était montée.
Elle se reposa doucement à son emplacement d'origine, en équilibre sur sa pointe.
Et elle ne bougea plus.
Joakim et les autres restèrent à la fixer quelques secondes encore, attendant la suite. Les goélands passaient toujours au-dessus de leur tête, l'un d'eux poussa un cri qui ressemblait quand même un peu à un éclat de rire.
– C'est tout ?, demanda enfin Elgud en se redressant.
La peinture de Shona était en train de perdre de son effet, les entortillements de couleurs se relâchaient, coulant sur eux comme un liquide visqueux.
Brewal se releva tout à fait et força Shona à se mettre debout avec lui.
– Ce n'est pas possible, disait-elle.
Elle n'avait pas quitté la toupie des yeux, c'est tout juste si elle se laissait cligner des paupières.
Brewal lui arracha le Granit des mains et le rendit à Joakim. Puis il tira un cordage d'une des poches de son ciré, il lui ramena les bras dans le dos et il la ligota solidement.
– Ce n'est pas possible !, dit-elle encore tandis qu'il l'emportait.
– Il faudrait peut-être attendre un peu, dit Elgud en les suivant malgré tout. Ça prend combien de temps normalement ?
– J'en sais rien, répondit Brewal d'un ton sec.
Joakim et Patsy les laissèrent s'éloigner.
Patsy ferma enfin la bouche. Elle frotta sa robe pour essayer de retirer la peinture.
– Je suis bien triste pour Shona. Et j'avoue que je suis un peu déçue pour l'Inneal.
Joakim secoua la tête imperceptiblement. Quelque chose n'allait pas. Comme Shona, il n'avait pas cessé de regarder la toupie. Il s'en approcha, s'accroupit devant et l'observa de près. Il posa la main dessus.
Une nouvelle fois, elle monta bruyamment, resta un instant dans les airs, puis redescendit lentement.
Il se releva et regarda autour de lui.
– Ce n'est pas l'Inneal.
– Quoi ? Mais ça a brûlé l'herbe ! Comme la photo que tu as vue au musée. Et la brochure disait que c'était exactement ça : la sculpture d'une toupie en pierre.
– Hum, peut-être... Mais ça ne ressemble pas vraiment à une toupie. Une toupie, ça tourne. Et d'ailleurs, pourquoi une toupie ?
– Pourquoi pas ?, répondit Patsy en haussant les épaules.
Joakim s'accroupit à nouveau devant la sculpture. L'idée qu'il refusait peut-être simplement d'admettre qu'il avait tout perdu commençait à lui venir à l'esprit. Mais il empoigna son Granit comme pour se donner de l'aplomb.
– Il faut peut-être la faire déborder.
– Tu veux dire... Comme quand Brewal a fait accélérer le temps avec ma musique ?
– C'est une œuvre d'art, non ?
– Du land art, dit Patsy en opinant du chef.
– Alors ça devrait marcher.
Il se mit à fixer la sculpture quelques secondes.
Puis il ferma les yeux.
Il respira profondément.
Il prit conscience du tapis d'herbe desséchée sous ses pieds, de l'odeur rance qui en remontait dans ses narines. Il se passa la langue sur les lèvres et le vent lui fit l'effet d'un baiser. Il écouta le grondement de la mer au loin, le cri des goélands au bout de la presqu'île. Il rouvrit les yeux. La surface de la pierre était accidentée et bariolée dans les tons blanchâtres, elle ressemblait à un mélange de neige et de gros sable figé. Il tendit la main en avant... Mais il n'alla pas jusqu'au bout.
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Le Pouvoir des Artistes
ParanormalRejoignez un groupe d'artistes révolutionnaires au moment où l'art devient magique ! A bientôt vingt ans, Joakim ne croit plus aux légendes de son île Celte : en vérité, le monde est beaucoup plus ordinaire que ça. Sa seule chance de vivre une vie...