Quand nos yeux ont compris

rapprochement inattendu

Amélie et moi nous retrouvâmes à l'extérieur.

Je m'adossai au mur, amenant une cigarette à ma bouche comme pour me donner du courage. Alors que je tirais sur ma première latte, ma charmante invitée vint se placer devant moi. De petits mouvements parasites trahissaient sa nervosité, et malgré mon apparence placide, j'étais dans le même état intérieurement.

Je pris une nouvelle bouffée de nicotine, avant de chercher son regard avec le mien :

- "Ca y est...Tu sais..."

- "De quoi tu parles ?! Tu comptes faire des phrases, ou me laisser dans un grand flou ??"

- "Ben, maintenant tu sais que je suis imbuvable avec tout le monde...Que je rejette tout engagement, et que je ne pourrai jamais donner de famille à personne...La belle fille idéale, quoi !!"

- "Parce que tu penses, que ma façon de te voir a changé ?! Rien ne changera jamais...Rien de ce que je ressens pour toi ! "

- "Tu dis ça sur l'instant...Mais bon, l'avenir avec moi...Ca ne vend pas du rêve."

Ma belle brune avança une de ses mains vers moi. Elle effleura le tissus de ma robe, au niveau de mon ventre et souffla d'un ton gêné :

- "Je comprends mieux les cicatrices...J'ai été lourde...J'ai voulu savoir à tout prix!"

J'étais sidérée qu'elle revienne sur ce petit détail, tellement insignifiant pour moi. Je répondis du tac au tac :

- "Et alors ??J'allais te le dire de toute façon! On n'a pas eu le temps, c'est tout!"

- "Ouais, mais ça à l'air de te peser..."

- "Pas vraiment en fait...Mais bon, quand je balance que pour moi ça ne compte pas...Personne ne me croit! On se permet souvent de m'analyser...On me sort que je souffre, que le deuil d'un enfant c'est long...Alors, que c'est mon problème à moi !!"

Amélie se sentit soudainement acculée par mon commentaire acerbe :

- "Euh...Désolée...Je ne voulais pas...Euh..."

- "C'est ok, je ne disais pas ça pour toi ! C'est juste, que je ne ressens rien...Pas de tristesse...Pas de colère...Rien ! On me dit que ce n'est pas normal...Moi, je n'ai pas d'avis !!"

- "Pas d'avis ?!Ok...On peut, ne pas avoir d'avis?!"

Je rentrai un peu plus dans les confidences, lui offrant ma façon de voir les choses telle quelle :

- "Quand c'est arrivé...J'avais seize ans...Ce que je me rappelle, c'est les urgences...Des auscultations sous la douleur...Intense...A faire perdre connaissance. On parle à mes parents...On me pose des questions...Mal tournées et intrusives sur ma sexualité...Je ne comprends pas grand chose...Mon père signe un consentement...Je me retrouve sur une table d'opération..."

Mon coup de cœur me coupa, par une pression sur le bras...Ses pupilles étaient devenues brillantes, et ses traits tristes :

- "Tu n'es pas obligée de me raconter tout ça!"

- "Tu voulais savoir...Alors je raconte! Je continue, ou tu es trop fragile pour la suite ?!"

Un hochement de tête silencieux me répondit à la positive. Je reprenais :

- "Bref, au réveil, le médecin me dit que je suis passée par une belle porte, qu'à une heure près...Je n'aurais peut être plus été là...Je t'épargne le diagnostic...Un truc génétique, qui touche les ovaires. Enfin, il me dit que je vais devoir prendre des traitements...Et en une phrase, que je n'aurai pas d'enfant."