Prologue

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Tanuki reprit connaissance avec un affreux mal de tête. Il repoussa sa couverture et se redressa lentement dans le canapé, bousculant accidentellement un verre sur la table basse qui atterrit sur la moquette en produisant un son mat. Les bruits de la ville, évoquant des véhicules qui avançaient lentement dans les bouchons, lui indiquèrent qu'ils étaient en début de soirée. Alors que ses idées se remettaient en place, il balaya du regard la pièce mal éclairée où il se trouvait et reconnut l'arrière-boutique du café Mashiro. Des cartons de sucre et d'ingrédients de pâtisserie divers étaient empilés le long d'un mur de la pièce.

L'adolescent observa son reflet dans la carafe en inox posée sur la table puis toucha sa lèvre inférieure fendue et douloureuse où s'était formée une croute de sang séché. Son œil au beurre noir lui permettait à peine d'ouvrir la paupière. Encore une fois, Davy n'y était pas allé de main morte.

Alors, les circonstances dans lesquelles il l'avait frappé se rappelèrent à sa mémoire.

Pris de panique, il observa l'intérieur du local d'un oeil anxieux. Il aperçut alors un homme assis à califourchon sur une chaise, devant la fenêtre ouverte, fumant une cigarette avec un calme olympien. Malgré son manque de réaction et le fait qu'il lui tournait pratiquement le dos, l'adolescent savait qu'il l'avait entendu se lever. Il détourna le regard et tenta de réfléchir calmement à ce qu'il convenait de lui dire. Mais la raison inconnue pour laquelle il ne l'avait pas encore éliminé, comme il projetait de le faire quelques heures plus tôt, suffisait largement à l'angoisser.

― Tu es enfin réveillé, fit Davy d'une voix blanche sans se retourner. Je craignais d'y être allé un peu fort mais on dirait que ça va aller.

Le coeur du lycéen battait la chamade. Ses doigts tremblants agrippèrent la couverture couvrant ses genoux. Son cœur rata un battement lorsque Davy repoussa sa chaise, écrasa son mégot dans le cendrier au rebord de la fenêtre puis s'avança jusqu'à lui d'un pas imposant, évoquant l'avancée d'une bête féroce. L'adolescent se raidit à son approche. Il connaissait ce trentenaire aux muscles saillants pour son tempérament imprévisible, oscillant entre une apparente sérénité et la plus extrême violence.

― Je... je te demande pardon, bafouilla-t-il en évitant de le regarder en face. Je te jure que je n'y suis pour rien. Je n'ai pas posé les micros que vous avez découvert dans la salle de réunion !

Davy s'accouda au dossier du canapé d'un air nonchalant. Il était désormais si proche du lycéen que ce dernier pouvait sentir les relents de tabac et de déodorant qui imprégnaient ses vêtements.

― Peu importe, dit-il sur un ton calme. Le responsable a eu son compte, tu peux oublier cette histoire.

Tanuki afficha un air surpris.

― Je ne comprends pas, bredouilla-t-il. Tu disais tout à l'heure que c'était moi qui...
― Je tenais à me débarrasser de ton collègue sans qu'il le voie venir, le coupa Davy en reprenant sa marche à travers la pièce. Sa voiture a été piégée pendant notre petite entrevue. J'ai fait semblant de le relâcher et il ne s'est douté de rien jusqu'à l'instant fatidique.

Pour Tanuki, le temps sembla soudainement se figer. Son visage s’assombrit à mesure qu’il réalisait le sens de ce qu’avançait son supérieur.

― Tu veux dire qu'il est...
― Il ne nous causera plus de problèmes. Nous avons veillé à ce que ça ait l'air d'un banal accident. Aucune explosion pendant la collision qui a suivi et les enquêteurs trouveront la voiture en parfait état de marche.

Il émit un ricanement guttural, indifférent au trouble de l’adolescent.

— Voilà qui devrait suffire à leur filer la migraine au cas où ils voudraient pousser plus loin, sourit-il.

Devant la mine décomposée de Tanuki, il continua sur un ton plus autoritaire.

― Écoute-moi bien. Je me fichais un peu de savoir lequel de vous deux avait fait le coup. Vous étiez les seuls suspects et mon boss a été clair : si je ne parvenais pas à trouver le responsable, je devais garder en vie celui de vous deux que je peux le mieux contrôler et éliminer l’autre. J’étais presque sûr que c’était toi le coupable. Malgré tout, je restais prêt à fermer les yeux sur cet égarement parce que tu m’as bien servi jusqu’ici. Jusqu’à ce qu’un de nos contacts parmi les flics me confirme que des membres des services secrets s’intéressent de près à l’accident de ton camarade. Il n'y a plus de doute à avoir, c'était le bon.

L’adolescent resta silencieux. Rien de ce que disait Davy à propos de sa possible trahison n’avait plus d’importance puisque le véritable responsable n’était plus de ce monde.

― Alors maintenant qu’il n’a plus grand chose à craindre, tu peux tout me dire : c’était bien un de tes collègues espions et il était là pour moucharder le clan, pas vrai ?

Tanuki acquiesça sans répondre. 

― Ben voyons, lâcha Davy sur un ton méprisant. J’aime autant te prévenir : si tu me caches encore une fois une info de ce genre, tu ne t’en sortiras plus avec un gentil cocard et quelques bleus. Et ne crois pas que votre petit manège pendant l'interrogatoire pour essayer de vous couvrir l'un l'autre m'a échappé. Ce qui ne m’a le plus fait tiquer, c'est qu'il ait essayé de te sauver.

Davy se fendit d'un sourire cruel.

— Pour quelqu'un qui prétendait ne pas te connaître, j'ai dû le menacer d'une arme pour qu'il fiche le camp.
― C'est de la folie, affirma Tanuki en émergeant de sa léthargie, en proie à l'angoisse. Si le Bureau finit par découvrir que vous êtes derrière sa mort, ma couverture sera compromise.

Davy le toisa d'un oeil irrité.

― Ils n'en sauront rien. A moins que tu ne vendes la mèche, bien entendu. De toute façon, tu es censé préparer ton exfiltration pour bientôt. Où en es-tu, d'ailleurs ?

Tanuki baissa de nouveau la tête.

― J'ai bientôt fini, dit-il sur un ton résigné. Je serai à vous d'ici la fin des vacances.
― Tant mieux, sourit Davy. Reste quand même prudent. N'oublie pas que tu dois à tout prix éviter de te faire prendre. Si ça arrive et qu'on ne se retrouve pas à la date convenue, je considérerais automatiquement que tu nous as trahis. Et j'en ferais supporter les conséquences à qui tu sais.

Tanuki ne répondit rien. Quelqu'un frappa à la porte.

― Le patron te demande au téléphone, annonça le tenancier du café, un homme élancé à lunettes, vêtu d'un tablier gris.
― J'arrive tout de suite. Quant à toi, tu peux retourner à ton QG. Tes collègues espions vont finir par s'inquiéter. Je te laisse le soin de trouver un alibi crédible à leur servir.

La porte se referma derrière les deux hommes. Resté seul, Tanuki essaya de remettre de l'ordre dans ses pensées. Il avait beau ressasser les paroles de Davy, son cerveau peinait à se faire à l'idée que son camarade - non, son ami - avait été tué. Tué par sa faute. Parce qu'il avait été trop lâche pour tenir tête à ces ordures depuis le début.

N'y tenant plus, il enfouit sa tête entre ses mains et laissa libre cours à ses larmes, emplissant la pièce de ses sanglots étouffés.

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High Spies - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant