III - Ledtas

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Nala avait toujours représenté une énigme à ses yeux. Malgré son aversion pour la vie citadine, elle avait suivi plusieurs années d'études en centre-ville. De plus, les débouchés du milieu industriel que lui offrait son diplôme ne l'intéressaient pas ; à la place, elle retournait dans la campagne. Quel étrange parcours !

Ledtas réalisa qu'il croisait sans doute Nala pour la dernière fois. À part Leinys et Sonia, il n'y avait peut-être qu'avec Blazer qu'il garderait contact.

Dieu merci, Tal'Linah était loin, désormais ! La dernière fois qu'il l'avait aperçue, elle regagnait son domaine de la ville haute, accompagnée de deux bellâtres. Néanmoins, un autre parasite rôdait à proximité. Ledtas n'appréciait pas de voir Pelior tourner autour de Leinys. Si son costume lui donnait une meilleure allure que d'habitude, il ne suscitait pas confiance avec sa silhouette négligée, sa barbe mal rasée et son regard enflammé trahissant ses névroses. Pas subtil pour un sou, Pelior tentait d'éloigner Leinys de la bande pour lui parler en privé.

Décidément, il n'a toujours pas compris, celui-là... s'agaça-t-il.

Comble de malheur, Leinys ne l'envoyait pas balader. Ou bien elle n'osait pas blesser Pelior ; ou bien elle avait baissé sa garde, enivrée par la soirée. Par le passé, Pelior avait été le sujet de plusieurs disputes entre Leinys et lui, mais aucune ne s'était jamais accompagnée de solutions concrètes ; aussi Pelior guettait-il toujours, à l'affût d'un signe favorable.

Tu peux toujours courir, mon pauvre... médit Ledtas avec un sourire mauvais.

Chassant cette pensée, il tourna son regard en direction du Capitole. Le centre de recherche, seul établissement industriel de la ville haute, abritait les projets les plus secrets du Conglomérat. Il était si calme, au milieu de la nuit... Aux aurores, il serait la première structure de la cité à s'éveiller ; lui répondraient ensuite les centaines d'usines de la ville basse.

Blazer se rapprocha de lui.

« Tu es prêt pour demain ? dit-il avec un sourire confiant.

— Il faudra bien, répondit Ledtas d'un air plus inquiet. Au fait, bon discours, tout à l'heure.

— Merci, je t'avoue que j'ai jeté pas mal de papier à la poubelle avant de trouver le bon ton ! »

Tous s'installèrent sur les bancs disposés en face du panorama, y compris Pelior. De là, ils contemplèrent pensivement la ville basse qui sommeillait en contrebas.

« Hé Soline, tu reconnais ? s'exclama Drosdar d'un ton espiègle. C'est ici que nous nous sommes embrassés la première fois ! »

Pour toute réponse, Soline leva les yeux au ciel. Ledtas sentit Leinys bouillonner à ses côtés. Elle n'osait pas le faire remarquer devant Soline, mais Drosdar s'était vanté d'avoir emballé une bien jolie beauté en ce même endroit, quelques mois plus tôt !

Ledtas porta son attention sur la nouvelle enceinte qui délimitait le pourtour de la ville basse et qui avait été achevée depuis seulement quelques mois. Tout au long de son histoire, bien des murailles avaient protégé Kalsura de ses assaillants et des défenses toujours plus formidables avaient été érigées pour prendre en compte les extensions successives de la cité. Au gré d'une promenade, un œil averti pouvait repérer ça et là les vestiges épars de sept murailles tombées en désuétude ou balayées en faveur de nouveaux réaménagements. Des pans entiers de la huitième muraille étaient à leur tour abattus. Seuls subsistaient quelques fortins le long de la Voie des Sept, l'artère principale traversant la ville basse d'ouest en est jusqu'à la ville haute, jusqu'à l'Aréopage.

Grappiller quelques mètres carrés dans les quartiers encombrés de la ville basse était un exploit que les promoteurs immobiliers à l'affût de juteuses opportunités finissaient toujours par surmonter. La muraille démolie libérait des terrains sur lesquels étaient aussitôt bâtis des logements construits à la va-vite ou de nouvelles usines. Ledtas détestait la puanteur de l'air émanant de la ville basse. La pollution, voilà le prix que les Conglomérés payaient pour la transformation profonde de Kalsura... Les quartiers se transformaient à une vitesse effrénée, au point que de jeunes adultes comme lui reconnaissaient difficilement le visage de leur cité d'enfance.

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