V - Ledtas

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Sous les coups de sept heures du soir, à l'issue d'une longue après-midi pendant laquelle les chargés de mission l'avaient bombardé d'informations, Ledtas était revenu au seuil de son appartement. Leinys errait dehors, hagarde, sans but. Lorsqu'elle l'aperçut, elle n'en crut pas ses yeux de retrouver son conjoint vivant et en liberté devant elle. C'était comme si elle contemplait un fantôme. Elle courut aussitôt vers lui.

« Ledtas !! s'exclama-t-elle. Comment est-ce possible... ? »

Même s'il n'avait eu aucune prise sur la situation, Ledtas s'en voulut pour son absence prolongée. Une simple missive aurait pourtant suffi à rassurer sa compagne... Mais puisque personne ne l'avait informée, elle s'était rongé les sangs pendant des heures. Une fois qu'ils eurent retrouvé l'intimité de leur logement, il lui raconta tout ce qu'il s'était passé depuis qu'il avait suivi les Chérubins.

« C'est... incroyable, répondit Leinys une fois qu'il eût terminé. Ces nouvelles bousculent tout. Dire que je pensais ne jamais te revoir ; au lieu de ça, tu me reviens en tant que Voix de Valor... !

— , je suis plus que jamais un simple pion face à la volonté de Kalsura, lâcha Ledtas. Le Primat m'a forcé la main.

— Comme toujours, dit Leinys d'une voix lasse. Ainsi fonctionne le Conglomérat.

— Oui. Et si les événements d'aujourd'hui ont fini par tourner dans une bonne direction, je me rends compte que je n'avais jamais vu plus loin que le bout de mon nez. Je m'acclimatais de plus en plus au Capitole, je me voyais bien y travailler jusqu'à la fin de ma vie ; la technique, c'était mon truc. Maintenant que mon emploi d'ingénieur appartient à mon passé, il me paraît désormais si simple, si routinier ! À partir d'aujourd'hui, tout sera nouveau, tout ne sera qu'incertitude et je n'aime pas ça... Mais je suis le seul responsable. Si je n'avais pas haussé le ton face à Wurjag, je n'en serais pas rendu là.

— Ledtas, ce qui est fait est fait. Ne te culpabilise pas et ne ressasse aucun regret, dit Leinys d'une voix cajoleuse. Cette journée aurait pu très mal tourner, mais le Primat te protège contre Wurjag et ça, ça compte beaucoup. Il t'a pris sous son aile, te voilà désormais la Voix de Valor ! e. C'est une perspective incroyable qui s'ouvre à nous.

— Tu as raison, comme toujours, dit Ledtas en souriant à sa compagne avant de se perdre dans ses caresses.

— Tu es fatigué, hein ? demanda Leinys.

— Exténué ! la corrigea Ledtas. Trois face-à-face avec des Autorités le même jour, rends-toi compte ! Qileth et Wurjag n'étaient que des pseudonymes dans mon esprit, mais je peux désormais poser des visages sur eux ; de plus, je me retrouve au service du Primat Valor en personne ! Quelle étrange journée. D'une certaine façon, les Sept me paraissent encore plus insaisissables qu'hier... Qui sont-ils ? Comment réfléchissent-ils ? Quelle vision du monde défendent-ils ? En tant que Voix, je participerai au prochain conseil de guerre ; à ce moment-là, j'aurai peut-être une meilleure vue d'ensemble sur les Sept et sur les enjeux de la guerre.

— D'ailleurs, Valor t'a-t-il révélé qui était l'agresseur ? »

Ledtas se souvint des paroles de Valor : Ce que je m'apprête à vous révéler ne sortira pas de ces murs, m'avez-vous bien compris ?

« Le Primat ne m'a pas révélé grand-chose, mais il m'a surtout fait promettre de ne rien divulguer sur ce sujet précis. Au vu l'accroc que j'ai déjà eu avec Wurjag, je préfère ne pas désobéir. En tout cas, je me ronge les ongles pour Drosdar ; il va certainement être appelé au front, lui aussi...

— J'espère que ça va aller pour ton frère, répondit Leinys. Tu mérites une famille autour de toi, tu mérites que tes efforts paient. Tu as droit à une vie plus calme que celle que tu as connue pendant ta jeunesse. Nous méritons cette vie heureuse... Ledtas ?

— Oui ?

— Quand les Chérubins t'ont enlevé, ça a été horrible, dit-elle d'une voix désincarnée. C'était comme si mes boyaux s'étaient tordus dans mon ventre. Je ne me suis pas présentée à mon travail, je suis restée là, impuissante, à vomir mes tripes par terre. Et puis, j'ai compris qu'il y avait autre chose...

— Attends, tu veux dire que... ?

— Je suis enceinte.

— Et dire que je t'enquiquine avec mes futilités depuis tout à l'heure ! s'exclama Ledtas en se relevant d'un bond. Leinys, Leinys ! C'est... C'est incroyable !! » commenta-t-il, les yeux pétillants de bonheur.

Mais Leinys se mit à pleurer à chaudes larmes !

« J'ai cru... que j'allais devoir l'élever seule ! dit-elle secouée de sanglots à chacune de ses phrases. Que notre enfant... n'allait pas connaître son père, qu'il allait être orphelin comme toi et moi ! C'était affreux... ! Je ne voulais pas vivre ça... C'était trop dur ! »

Ledtas la prit dans ses bras et entreprit de la consoler. Il releva la tête de sa compagne et la regarda droit dans les yeux.

« Notre fille ou notre fils ne manquera de rien », lui promit-il d'un ton tranquille.

Il craqua lui aussi sous le coup de l'émotion et une larme glissa sur sa joue. Contrairement à son entrevue avec Valor, il n'eut cette fois-ci aucune honte de montrer sa vulnérabilité devant sa fiancée.

« Leinys, nous allons devenir parents... murmura-t-il d'une voix songeuse. Je n'arrive pas à le croire...

— Oui, on ne devra plus penser juste à nous, répondit Leinys. Nous n'en deviendrons que bien meilleurs. »

Ledtas repensa à ses propres parents. Lorsqu'ils s'étaient rendu compte de leur cancer, ils avaient continué de travailler, mettant autant d'argent de côté que possible pour en faire profiter leurs enfants. Lui qui n'était alors qu'un jeune garçon, il avait vu Papa et Maman tomber malades à cause de leur boulot ; pourtant ils y étaient retournés encore et encore, jusqu'à en mourir... ! Ils n'avaient fait que sceller leur sort plus rapidement. Il s'était souvenu d'en avoir voulu à ses parents d'être partis trop tôt. S'ils s'étaient alités pour préserver leurs forces, ils seraient restés une famille unie plus longtemps... Mais aujourd'hui, à l'aune de ses vingt-trois ans, il comprenait leur sacrifice. Lui aussi voulait se battre pour offrir le meilleur à son enfant à naître ; et si nécessaire, tout lui donner.

« Que se passera-t-il si je suis appelé en dehors de Kalsura, comme c'était le cas pour la Voix Valmond ? projeta Ledtas d'un air préoccupé. Mes absences se prolongeront-elles, m'empêchant de dormir ici ? J'espère juste que Valor ne me volera pas la vie de famille que je m'apprête à construire avec toi.

— Tout se passera bien, Ledtas », le rassura-t-elle tout en serrant sa main pour tempérer les inquiétudes de son conjoint.

Cette anxiété dont il souffrait constamment... La marque d'un orphelin qui s'en était remis à lui-même pour survivre et pour qui les efforts menés n'avaient jamais suffi... Très lucide sur ses failles, perfectionniste, Ledtas s'était toujours traité avec dureté et avait toujours éprouvé de grandes difficultés à s'aimer. Orpheline elle aussi, Leinys savait bien panser ce manque de confiance en lui. Sur ce point, ils se comprenaient si bien.

Il posa un tendre baiser sur Leinys avant de l'embrasser dans le cou. Alors que le désir montait en lui, il l'entraîna vers leur lit. Après cette journée si aliénante, une violente envie de vie s'empara de lui et avait un besoin de se reconnecter à sa fiancée, à la future mère de son enfant. Ils se déshabillèrent en s'offrant de douces et affectueuses caresses.

Hmm, sa peau est si douce... pensa-t-il d'un air enivré.

Ledtas et Leinys firent l'amour tendrement. Ils avaient tout leur temps. Ils ne faisaient qu'un et rien ne pouvait les séparer. C'était trop bon d'être ensemble, tous les deux. Ils explosèrent de bonheur. Tout était possible, l'avenir leur souriait. Tant qu'ils resteraient ensemble, Ledtas ne craindrait pas ce nouveau départ.

Dans les bras l'un de l'autre, ils se câlinèrent encore quelques instants avant de sombrer tous les deux dans un sommeil apaisé.

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