V - Nala

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Ce n'est qu'une fois que Nala fût rentrée chez elle qu'elle consulta l'heure sur sa montre. Son sang ne fit qu'un tour. Il était déjà huit heures.

Bon sang !

Ébranlée par sa séparation avec Feldan, elle ne s'était pas rendu compte qu'elle avait pris autant de temps à revenir de la gare. Or, elle était attendue cette après-midi même aux fermes de Wurjag en périphérie de Kalsura pour pointer ses heures de travail. Et le Conglomérat n'excusait aucun retard, à aucun poste.

Nala attrapa ses affaires à toute vitesse, qu'elle avait au moins eu le bon sens de préparer la veille. Elle s'apprêtait à partir lorsque sa mère la retint quelques instants.

« Tout va bien... ?

— Non, je suis à la bourre ! Je pars immédiatement. Je reviens à Kalsura dimanche dans quinze jours.

— D'accord. Tu es toujours la bienvenue ici. Gros bisous, on t'aime...

— Oui-oui-je-sais-moi-aussi, allez je file ! »

Nala se rua à l'extérieur et fondit en direction de la porte de la cité, à l'ouest de la ville basse. Malgré ce coup de sang salvateur, le soleil baignait déjà de chaleur les rues de la cité. Seul l'occultait cet épais nuage noir formé par les cheminées des usines. Il émanait de l'air une odeur épouvantable, mêlée de pétrole et de charbon. Alors qu'elle respirait par à-coups sous l'effet de sa course, elle laissa échapper une violente quinte de toux.

Après avoir traversé la Voie des Sept et être sortie de l'enceinte de Kalsura, Nala calma son pouls. Enfin un peu plus d'espace ! Là, elle fit de l'auto-stop sur le chemin menant jusqu'aux fermes de Wurjag. Au bout de quelques instants, elle fut finalement acceptée sur la carriole d'un paysan âgé, qui acceptait de faire un détour pour elle. La mule avançait avec une lenteur insoutenable. Nala pesta intérieurement. Pourquoi était-elle si mal tombée ? De frustration, elle planta ses ongles sur le bois des planches. Épouvantée par le peu de temps dont elle disposait, elle décida de tenter le tout pour le tout en s'adressant au fermier.

« Je vous en supplie, pouvez-vous accélérer l'allure ? implora-t-elle d'une voix criarde.

— C'qu'ils sont prêssés, ces citadins ! baragouina le charretier avec un accent bien marqué. Si vous n'êtes pas contente, vous p'vez toujou's descendre ! Ça n'me change rien, à moi. »

Face à ce refus, Nala éclata en sanglots. Au-delà de ses adieux éprouvants avec Feldan, son retard dès son premier jour faisait déborder le vase. C'en était trop !

« Là là, séchez vos larmes, jeune femme », dit le paysan saisi d'un élan de compassion, avant de faire danser son fouet.

Excitée par les claquements des lanières, la mule avança enfin à un rythme plus soutenu. Comme un enfant à qui l'on aurait offert un cadeau pour tempérer l'un de ses caprices, Nala retrouva un sourire étincelant en un rien de temps.

« Fallait pas vous mettr' dans cet état. Et pis, j'aimerais pas qu'mes amis du hameau apprennent que j'ai laissé une demoiselle pleurer... Mais d'ailleurs, qui c'est qui vous fait une peur bleue pareille ?

— Wurjag, répondit Nala. L'Empoisonneur !

— Oh... murmura le charretier en baissant la tête. J'vous comprends bien, l'est pas commode, celui-là... Non, pas commode du tout. »

Le moteur des moissonneuses-batteuses labourant les champs noya leur discussion. À présent plus tranquille, Nala s'évada dans la contemplation du paysage rural. Même si la verdure provenait de plants artificiels, elle lui apportait du réconfort. En revanche, les sols saturés de pesticides rendaient l'air aussi irrespirable qu'au cœur de la ville basse. Des souvenirs de son enfance la submergèrent. Les maraîchages avaient disparu, remplacés par des monocultures de céréales s'étalant jusqu'à l'horizon. Entraînée par le prodigieux élan industriel de Kalsura, l'agriculture avait été à son tour transformée par la mécanisation.

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