Les Sept

VII - Khoren

Sombre nuit. Pensées noires. Ses habituelles préoccupations sur son ventre rebondi n'avaient plus leur place en ce moment. Le Général Khoren Montagnac avait passé une semaine des plus abominables, pour ne pas dire la pire de sa longue carrière. C'était une chose qu'un bataillon eût été pris par surprise et ne réussisse pas à défendre les derricks de l'Autorité Hellasius. Mais de voir l'armée du Conglomérat enchaîner défaite après défaite était inacceptable !

Après le drame aux exploitations de L'Extracteur, le Général s'était sacrément fait remonter les bretelles, ne serait-ce que pour la forme. Après tout, l'incident du mois précédent avait causé la mort de deux Voix, dont celle du Primat. Face aux remontrances, Khoren s'était contenté de hocher la tête d'un air tranquille. D'une part, il savait que même les espions des Autorités n'avaient pas anticipé une telle attaque ; d'autre part, il savait que les Sept ne le limogeraient pas et ne le remplaceraient pas par un autre, étant donné l'ampleur de la crise en cours.

Cependant, Khoren avait cru à tort qu'il lui serait possible d'infléchir le conflit en sa faveur, avec l'armée entière à ses côtés. Le corps armé croulait sous les armes rutilantes et jamais il n'avait compté autant de soldats dans ses rangs, entre l'enrôlement de milliers d'entre eux et le contingent appelé au service militaire. Comme Valor avait écrasé les Helkaris avant cette militarisation outrancière, Khoren avait pensé réitérer un exploit au moins comparable avec toute la puissance de feu à sa disposition. Confiant avec ses vingt-huit mille soldats armés de fusils à vapeur et soutenus par les nouvelles Fiertés, il s'était avancé aux frontières du Conglomérat pour se porter au-devant de l'envahisseur... Et depuis, il n'avait pas réussi à reprendre la main !

En plus de faire preuve d'une force destructrice, l'armée ennemie avait opéré de surprenantes stratégies. Sous la surprise, Khoren avait commencé à commettre des erreurs ; notamment, il s'était éloigné trop rapidement de la capitale et les ravitaillements avaient eu du mal à suivre. Il avait fallu se replier, fuir, subir le tempo de l'adversaire... Pour chaque mètre défendu, il avait sacrifié un soldat congloméré ; pour chaque mètre lâché, il avait offert un pan de terre à l'envahisseur. Il avait essuyé de cuisantes défaites et subi de lourdes pertes, près d'un cinquième de ses troupes ! Son honneur même était en jeu. En désespoir de cause, il avait pratiqué la politique de la terre brûlée, incendiant forêts, villages et champs sur son passage. Mieux valait ne rien laisser à l'agresseur, sinon désolation et mort.

À mesure que les défaites s'étaient succédées, Khoren avait enfin saisi la stratégie du général ennemi : selon toute vraisemblance, ce dernier conduisait son armée jusqu'aux Champs de Xaroth ! Les éclaireurs de l'armée adverse y avaient sans doute vu une cible d'importance stratégique, autrement plus simple à prendre que la capitale lourdement défendue. Depuis cette prémisse, Khoren en avait extrapolé la suite logique de l'assaut : d'abord, l'envahisseur s'infiltrerait dans les plateaux de Qosomoth pour dissimuler sa progression ; puis, il surgirait de toutes parts et s'attaquerait aux centres de production périphériques de Kalsura : , au cœur de la ville de L'Ancien.

En vérité, si l'agresseur s'emparait des Champs de Xaroth, sa victoire était déjà acquise ! Le territoire du Conglomérat sectionné en deux serait asphyxié ; ainsi blessé mortellement, il ne se relèverait jamais... L'ennemi se rapprocherait autour de Kalsura dans une succession d'encerclements de plus en plus rapprochés. Une fois arrivé aux portes de la capitale, il aurait l'embarras du choix : soit de lancer un assaut frontal sur les nouvelles murailles, soit de conduire un siège. Certes, encercler la métropole nécessiterait une logistique poliorcétique absolument phénoménale, mais cela importait peu, car le temps ne ferait que jouer en la faveur de l'envahisseur. Aucun renfort ne viendrait de l'extérieur et il n'y aurait aucun endroit où opérer une nouvelle retraite. À ce stade, l'armée conglomérée, déjà réduite à peau de chagrin, ne pourrait plus dévier l'inexorable progression de l'ennemi...