Le trajet mit Feldan à rude épreuve. Comme tous les autres passagers, il se cramponna aux poignées de fortune, essayant de rester debout en dépit des tremblements irréguliers des wagons. Certes, il ne s'était pas attendu à s'affaler dans un siège confortable, mais tout de même... Un homme moins équilibriste que les autres le heurta avant de bafouiller des excuses gênées. Ne tenant pas rigueur de sa maladresse, Feldan esquissa un geste de la main. Ce n'était pas de sa faute. Les ouvriers et lui étaient tous embarqués dans la même galère. Autant se montrer solidaire pour faire face à ce qui les attendait...
L'impitoyable soleil agressait la ferraille du train avec l'intensité d'un laser. Suant par tous les pores de sa peau, Feldan et se maudit d'avoir omis d'emporter une bouteille avec lui. Serrés comme des sardines dans cette boîte de métal, les travailleurs suffoquaient avec la canicule en cours. Pour éviter de tourner de l'œil, certains ouvrirent la totalité des battants ; mais, comme pour ne leur laisser aucun répit, la fumée de la locomotive s'insinua sournoisement par les ouvertures. Si les mines d'Yliss étaient encore loin, la suie et les résidus de charbon imprégnaient déjà les ouvriers, dont les gorges déshydratées laissaient échapper des quintes de toux aux sonorités affreuses. L'odeur mêlée de transpiration et de particules de charbon était quant à elle d'une pestilence inouïe.
Feldan ferma les yeux. Pour l'instant, tout n'était qu'amère désillusion. Il était pourtant familier avec la situation précaire des mineurs, c'était d'ailleurs la raison pour laquelle il avait cherché à s'extraire de son milieu social en entamant des études à l'Ecol Namy. Pourtant, tout ce qu'il observait depuis ce matin dépassait de loin tout ce qu'il avait imaginé. Qu'avait-il fait... ? Avait-il eu raison de travailler pour l'Autorité Yliss ? Il s'emmura dans son esprit, endurant ce supplice au mieux de ses capacités.
Lorsque ses pensées voguaient librement, Nala apparaissait dans son esprit. Il avait été touché par sa présence à la gare, ce matin. De telles marques d'attention étaient si rares dans le Conglomérat. Feldan remerciait la providence de les avoir fait se rencontrer. Leur amitié était si complice, si précieuse... Parfois, Feldan pensait à sa vie adulte qui s'ouvrait devant lui. Nala et lui ne pouvaient-ils pas devenir plus que de simples amis ? Feldan faisait souvent le même rêve où ils étaient ensemble, s'offrant un peu de bonheur l'un à l'autre, bien loin de sa vie morne actuelle.
Se peut-il que Nala ressente elle aussi quelque chose pour moi... ? se demanda-t-il. Non, arrête d'être bête... Ne complique rien, alors que tout va si bien entre vous.
En ce qui concernait sa capacité de séduction envers la gent féminine, Feldan avait hélas une bien faible estime de lui-même. Et puisqu'il venait en plus de rater son diplôme, il n'estimait pas mériter de vivre quelque chose de sérieux avec Nala ; aussi se fermait-il à toute possibilité lui permettant d'approcher de ce but. Mais alors qu'il était sur le point de perdre son amie, il ne désirait rien de plus que de rester auprès d'elle ; quand bien même cet amour resterait platonique ou à sens unique.
La locomotive à vapeur avala la distance jusqu'à l'exploitation en à peine deux heures. Hélas, deux heures dans de pareilles conditions suffisent à broyer l'énergie d'un homme en pleine vigueur. Feldan ouvrit les yeux alors que le train ralentissait. Il avait tenu bon, mais il était conscient que l'enfer n'était pas arrivé à son terme. Le pire restait encore à venir.
La descente des wagons entraîna une bousculade vers l'extérieur. Afin de profiter au plus vite de la fraîcheur relative de l'extérieur, certains passagers jouèrent des coudes pour franchir en premier l'embrasure de la porte. Les autres leur lancèrent un regard assassin, comme s'ils étaient prêts à commettre la pire des extrémités. Les pauvres hères se ruèrent ensuite sur des seaux d'eau disposés à intervalles réguliers le long du quai de la gare. Les premiers arrivés plongèrent carrément leur tête à l'intérieur, buvant à grandes lampées, tandis que les seconds se lavèrent leurs mains pleines de suie. L'eau perdit instantanément de sa clarté. Feldan contempla ce triste spectacle. Sa soif était coupée, mais guère étanchée. Après avoir attendu son tour, il se força à avaler cette eau noirâtre. S'il ne le faisait pas, il ne viendrait pas à bout de cette journée.
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Les Sept
Science FictionIls sont les Sept Autorités. Nul ne connaît le visage de ceux qui règnent sans partage sur Kalsura. À la tête d'empires industriels monopolistiques, ils exploitent, ils s'enrichissent, mais cela ne leur suffit toujours pas. Depuis leurs usines se dé...