La correspondance de Valor que reçut Khoren cette après-midi faisait suite aux ordres du Haut-Commandant reçus trois jours plus tôt. Tal'Garath avait alors fait preuve d'une concision extrême : Amenez renforts immédiats pour la garnison de Kalsura. Pistez le Polgorath (i.e. Assylien manipulant le fluide rouge) et neutralisez-le. Mort ou vif.
Malgré la brièveté de l'ordre, le Général Montagnac n'en avait pas moins compris son importance de premier plan. Alors que plusieurs contingents dirigés par le colonel Barthelemeus avaient pris la direction de Kalsura à marche forcée, il avait mobilisé l'ensemble des véhicules motorisés pour prendre à revers le Polgorath. Les tout-terrains et les Fiertés de Xaroth avaient tenté de le coincer. Quel dommage, au final, d'être privé des deux Girodynes !
Au bout de vingt-quatre heures, nul n'avait retrouvé la trace de l'Assylien. Cela dit, le diabolique éther n'avait anéanti aucun véhicule non plus. L'Assylien était-il à court de ressources ? Khoren en avait conçu une grande espérance : celle de parvenir à récupérer le Polgorath vivant ! Ainsi, après la capture du Sylvestre, il aurait remis une nouvelle prise des plus précieuses dans les mains du Conglomérat. Hélas, à mesure que le temps était passé, il s'était rendu à l'évidence : le Polgorath leur avait filé entre les doigts ! Une nouvelle humiliation pour l'armée conglomérée...
Par ailleurs, hier soir et ce matin également, Khoren avait repéré une nouvelle lueur rougeâtre à l'ouest, illuminant la voie vers l'Assylie tel un phare !
Cet enfoiré nous nargue avec sa foutue loupiote... avait-il rouspété tout en avalant une tarte au chocolat qu'il avait fait rapporter de son pâtissier préféré.
Dans un élan de rage, il avait failli mettre toute l'armée en branle à la suite du Polgorath. Toutefois, à tout juste quelques kilomètres de là, l'armée assylienne attendait patiemment, aux aguets... Dès la première erreur de sa part, elle chercherait à reprendre la main après ses revers dans les plateaux de Qosomoth. Prenant son mal en patience, Khoren s'était donc retenu et s'était contenté de sécuriser les frontières du Conglomérat.
Il reporta son attention sur le nouveau courrier scellé du sceau du Primat. Ses échanges avec Valor devenaient une habitude avec le conflit en cours, ce qui n'avait pas le don de l'enchanter. Le Primat s'était montré des plus impérieux avec lui avant que menace assylienne fût éliminée hors des plateaux. Néanmoins, cette correspondance régulière lui permettait d'entretenir des rapports privilégiés avec le pouvoir, en plus de voir ses batailles aussi soigneusement consignées que la campagne de Valor contre les Helkaris. À n'en pas douter, la chronique régulière de ses hauts faits ne lui apporterait que du bon, une fois ce conflit terminé. Comme par exemple, voir la particule "Tal" précéder son prénom ! Les Autorités méprisaient la noblesse végétative et n'avaient jamais souhaité se faire anoblir ; mais pour lui, indéniablement, cela représenterait, une véritable consécration.
Tal'Khoren ! Aaaah... !
Dans sa lettre rédigée de sa propre main, Valor détaillait ce qu'il s'était passé à Kalsura au cours des derniers jours : la présence du fluide – appelé "éther" – dans le ciel de la ville basse, la propagande de l'Archontesse assylienne et la perte déplorable du Sylvestre. Il dévoila aussi la motivation de l'Aréopage à vouloir s'emparer du "Magirouage", une mystérieuse et ancienne relique ayant autrefois appartenu à Kalsura. Valor s'étendit aussi avec une certaine fébrilité sur les troubles sociaux déchirant la capitale. Khoren lut entre les lignes : à l'évidence, les Autorités se terrorisaient à l'idée que des insurgés kergilians envahissent la ville haute et les renversent. La suite du billet exposait des ordres formels :
Les portes de Kalsura sont closes. Au risque d'attiser la colère des séparatistes, nous avons décrété un confinement généralisé qui maintiendra la population dans le giron du Conglomérat et évitera à quiconque de suivre la piste esquissée par l'Archontesse et son Polgorath. Cependant, nous ne saurions écarter d'éventuelles défections ; en particulier, les Champs de Xaroth sont dépourvus de la moindre enceinte. À l'unanimité, l'Aréopage émet de sérieux doutes sur la capacité de L'Ancien à prévenir la désertion des habitants de sa cité.
Général Montagnac, je vous donne la consigne expresse de faire circuler plusieurs détachements aux abords des frontières. S'ils repèrent des fuyards en train de passer à l'ennemi, ils ont ordre de les abattre à vue, sans sommation. Dissimulez toutes les preuves. L'Aréopage vous donne toute latitude pour régler cette question.
Les Champs de Xaroth, toujours les Champs de Xaroth... Khoren en avait assez de cette guéguerre entre l'actuel Primat et L'Ancien. Il esquissa un sourire mauvais, exhibant ainsi ses dents une nouvelle fois tâchées de chocolat – hmm, ce pudding... !
Néanmoins, il prit au sérieux les consignes de Valor. Si un déserteur congloméré réussissait à rejoindre l'Assylie, les répercussions seraient gravissimes, encore plus que la capture du Sylvestre ne l'avait été pour l'Assylie. Après tout, Elyadil était resté fidèle à sa nation jusqu'à son dernier souffle ; en revanche, un rebelle n'aurait aucun problème à révéler les informations les plus sensibles du Conglomérat à l'ennemi... De plus, une fois le traître parvenu derrière les lignes assyliennes, Khoren n'aurait plus aucun moyen de l'abattre. Il ne serait en rien capable de réitérer l'exploit de l'Archontesse, qui avait tué le Sylvestre alors que ce dernier était prisonnier en plein cœur de Kalsura.
Le Primat Valor avait raison : il fallait empêcher une telle catastrophe de se produire, par tous les moyens nécessaires ! Les fugitifs devaient absolument être terrassés avant de pouvoir rejoindre Vanëal et de se mettre en sécurité au cœur de l'Assylie.
En plus de ça, l'Aréopage lui reprochait peut-être déjà de ne pas avoir réussi à capturer le Polgorath. Dût-il échouer une nouvelle fois, qu'il pourrait dire adieu à sa particule de noblesse...
Alors, juste avant la tombée de la nuit, Khoren vida le campement de six compagnies, qui se dirigèrent vers les sommets des collines environnantes. Les caporaux donnèrent l'ordre de dresser des tours de guet, au-dessus desquelles furent installées des plateformes tournantes, surmontées d'imposantes longues-vues thermiques. Le nec le plus ultra de la technologie du Conglomérat, utilisé non pas pour combattre l'Assylie, mais pour empêcher sa population de s'enfuir... ! Les soldats scrutèrent chaque sentier, chaque recoin, à l'affût de tout imprudent osant quitter Kalsura ou les Champs de Xaroth.
Si le déserteur tentait sa chance en pleine nuit, il serait aussi visible qu'une luciole illuminée en pleine obscurité...
Pour une fois, Khoren obéirait avec entrain aux ordres du Primat. L'idée même qu'un individu fasse défection le révoltait de tout son être. À ses yeux, une telle personne ne méritait pas de vivre un instant de plus. Pour être ainsi prêt à trahir sa belle nation, il fallait être, ni plus ni moins, qu'un sacré couillon !
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Les Sept
Science FictionIls sont les Sept Autorités. Nul ne connaît le visage de ceux qui règnent sans partage sur Kalsura. À la tête d'empires industriels monopolistiques, ils exploitent, ils s'enrichissent, mais cela ne leur suffit toujours pas. Depuis leurs usines se dé...