Chapitre 2 - L'appréhension du premier jour

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I - LEDTAS

L'alarme le réveilla. Ledtas ouvrit avec difficulté ses yeux collés avant de jeter un regard à sa montre. Six heures vingt. Bien que le soleil ne fût pas encore levé à cette heure, cela n'empêchait pas les travailleurs conglomérés de se réveiller au même moment dans les différents quartiers de la ville basse.

Ledtas poussa un gémissement. Il n'avait dormi que quatre heures. Et cette envie irrépressible de se gratter à la jambe... À l'évidence, le matelas poussiéreux qu'ils avaient récupéré dans la rue deux semaines plus tôt contenait des punaises de lit. C'était trop beau pour être vrai.

À ses côtés, Leinys lui lança un regard empli d'affection.

« Bonjour... dit-elle d'une voix pâteuse. Tu as bien dormi ?

— Pas trop...

— C'est à cause de l'appréhension du premier jour ?

— Tu devines bien, répondit Ledtas d'un ton évasif.

— Je suis certaine que tout ira bien, le rassura-t-elle. Levons-nous. »

Tranches de pain beurrées, voilà à quoi se limitait son petit-déjeuner. Ledtas l'engloutit sans le savourer, ses pensées encore embrumées par les verres de champagne de la veille. Il avait peut-être un peu trop forcé sur la buvette... Ses années d'études l'avaient conduit à ce nouveau chapitre de sa vie, à ce moment précis, et voilà qu'il n'était pas en état pour sa première journée... !

Il décida de partir avec une bonne demi-heure d'avance.

« Inutile de repousser davantage l'échéance, annonça-t-il. Je décolle.

— Je pars en même temps que toi », répondit Leinys après avoir avalé son café.

Leinys démarrait un nouvel emploi en tant que gestionnaire de projet pour l'Autorité Hellasius. Si les principales exploitations de pétrole se situaient aux frontières du Conglomérat, la coordination des activités s'effectuait quant à elle à Kalsura. Ledtas s'était soulagé d'apprendre que leur vie professionnelle ne les sépareraient pas.

Ils sortirent dans la rue. Il y régnait encore une fraîcheur bienvenue car le soleil n'avait pas encore réchauffé la cité ; mais déjà, les premières lueurs s'esquissaient par-dessus l'imposant roc. Les rues commençaient à s'animer ; les cheminées, à s'allumer. Leinys ferma la porte derrière eux avant de s'approcher de lui et de lui glisser une main dans ses cheveux. En retour, Ledtas lui caressa la nuque.

« Bon courage à toi, dit-il.

— Merci. Bonne journée à toi aussi », répondit-elle en l'embrassant avant de partir de son côté.

Ledtas se mit en route. Il connaissait par cœur la route vers le Capitole : il lui suffisait pour cela de marcher en direction du levant et de retourner dans la ville haute. Les passants déambulaient dans les rues piétonnes tels des fantômes errants dans l'obscurité. Dans le Conglomérat, les désirs et les rêves des individus ne s'épanouissaient pas. Comme tout le monde, Ledtas s'était senti écrasé par ce système rigide. Alors qu'il était étudiant, il avait rêvé d'en changer les codes ; puis, par dépit, il avait mis de l'eau dans son vin et avait accepté le Conglomérat pour ce qu'il était. C'était ça, ou nourrir des attentes décorrélées de la réalité, espérer des changements qui ne se réaliseraient jamais et subir des désillusions pour le reste de sa vie.

Aujourd'hui, Ledtas ne ressentait aucune frustration. Il avançait avec un but bien défini en tête, prêt à se conformer à la mentalité du Capitole. Nul ne pouvait pénétrer en ce sanctuaire et mériter son emploi sans fournir un travail acharné. Il savait d'ores et déjà qu'il allait en baver et il l'acceptait. Il était décidé à accepter toutes les tâches que ses supérieurs lui confieraient ; s'il le fallait, il cravacherait même pendant les premières années, mettant à contribution l'énergie de sa jeunesse. Au moins, Ledtas et Leinys n'avaient-ils déjà plus à se préoccuper de la peur de manquer chaque jour. Avec son salaire d'ingénieur junior au Capitole, il allait gagner moitié plus qu'un ingénieur à un autre endroit et près de cinq fois plus qu'un simple ouvrier ! Malgré cette capacité d'épargne importante, le jeune couple devrait tout de même patienter près d'une dizaine d'années avant de devenir propriétaires de leur foyer. Ledtas se demanda s'il pourrait se consacrer à quelques projets annexes sur son temps libre, voire même déposer un brevet afin de récolter quelques royalties supplémentaires.

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