V - Drosdar

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Le réveil fut des plus détestables. À la douce quiétude de l'obscurité s'imposa soudainement l'aveuglante lumière jaunâtre de leur dortoir ; surtout, Drosdar manqua de saigner des oreilles à l'ordre de son caporal.

« Soldats, bougez-vous ! Décollage dans dix minutes ! » beugla ce dernier avant de réitérer la même injonction dans le dortoir voisin.

Sous l'effet d'un stress intense, Drosdar bondit de son lit et jeta un coup d'œil à sa montre, qui affichait une heure du matin.

Bordel...

Le cœur encore battant, il se dépêcha d'enfiler son treillis. Une dizaine d'autres soldats se préparaient dans son dortoir, dont Matthew et Evan.

« Putain, je. suis. cla-qué, se plaignit Evan d'une voix hachée.

— Tout pareil... », grogna Matthew.

Du coin de l'œil, Drosdar surprit ce dernier en train d'ouvrir discrètement un petit sachet avant d'avaler une pilule de captagon. Il en fut peiné, mais il garda le silence et fit mine de n'avoir rien vu. La journée s'annonçait mouvementée, il valait mieux que Matthew s'autorise un écart s'il l'estimait nécessaire.

Ils sortirent dans la cour de la caserne, où l'ensemble des autres compagnies finissaient de se rassembler. Deux mille soldats composaient les troupes fraîches. Si l'armée avait décidé de les appeler au front, cela signifiait que le Conglomérat jouait sa dernière carte, son ultime atout ! Le réveil au beau milieu de la nuit ne soulignait que trop bien l'urgence du moment. Drosdar enfila son sac à dos. Le matériel pesa lourd sur ses épaules.

« Hé, mais c'est toi le gars qui a explosé le Général Montagnac dans le labyrinthe ! » le reconnut un homme tout en lançant sur lui des yeux pétillants.

Drosdar s'habituait encore mal de sa popularité naissante auprès des soldats. Comme il se préparait mentalement aux événements de la journée, il ne voulait pas que ses exploits passés le distraient. Malgré cela, le soldat venait de lui remémorer de bons souvenirs, aussi s'efforça-t-il de lui accorder un sourire poli.

Sous les ordres du colonel Barthelemeus, le régiment entier se mit en marche et franchit la porte ouest de Kalsura. Au même moment rentraient des réfugiés par centaines. Cependant, Drosdar ne distingua pas Sonia, qui rentrait transie de froid dans la capitale. Une fois hors des murs, ils avancèrent à marche forcée. À ce train-là, ils allaient vite s'épuiser. Drosdar modifia son souffle pour l'adapter au nouveau rythme. Hors de question d'arriver au front fatigué. Dire qu'il avait joué au petit soldat depuis toutes ces années et qu'il n'avait jamais connu la guerre ! Il jeta un dernier regard en arrière.

Kalsura. Il avait rejoint les forces armées du Conglomérat pour ne plus vivre dans ses bas quartiers. Maintenant, il allait peut-être bientôt donner sa vie pour elle.

Kalsura. Qu'elle était calme, au beau milieu de la nuit, avec ses imposantes murailles, ses rares sources de lumière et son roc imprenable !

Kalsura. Près de cinq millions d'habitants vivaient dans l'enceinte de ses murs. Allait-il périr pour sauver les fesses de parfaits inconnus ?

Les soldats s'étaient enfermés dans un mutisme songeur. Les pensées de Drosdar le portèrent vers son frère Ledtas. Ils ne s'étaient pas revus depuis qu'ils avaient échangé à travers le grillage de la caserne. L'essai en présence de l'Autorité Qileth s'était-il bien passé ?

En ce moment, Drosdar souhaitait tant aller prendre un verre avec son frère. Dans leur bar favori, il lui offrirait sa bière préférée et s'assiérait face à lui, l'écoutant ensuite exposer son travail dans le Capitole ; du moins, tout ce qu'il pourrait divulguer. Ah, Ledtas ! Si rigoureux, si solennel – presque austère, même ! –, mais si doué. Son frère n'avait jamais brillé pour relater ses journées. Son visage ne laissait transparaître aucune expression et sa voix persistait sur un ton monocorde ; enfin, son récit, souvent trop plat, ne dérivait jamais vers la moindre anecdote croustillante à se mettre sous la dent. Justement, Drosdar s'amusait de leurs différences. Ledtas avait toujours des inquiétudes plein la tête et ne prenait jamais de temps pour s'aérer l'esprit. C'était une véritable victoire pour lui lorsque son frère arrivait enfin à se détendre à ses côtés. Ah, Ledtas ! En ce moment, il lui manquait cruellement.

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