Les Sept

II - Ledtas

Les trois rampes de lancement étaient prêtes. Depuis son premier jour au Capitole, Ledtas avait conçu les plans industriels de cette pièce maîtresse. Comme les rampes ne devaient surtout pas rompre sous le poids des appareils et le couple de torsion généré, il avait tout mis en œuvre pour les fortifier ; d'où ces immenses renforts métalliques de deux mètres de large fondus en zerium, l'alliage de Zerdkan à base de tantium.

Il vérifia encore une fois que chaque élément du banc d'essai se trouvait bien à sa place. Son contremaître s'approcha à son tour de l'ouverture béante.

« Eh bien, on ne voit pas ça tous les jours, dit Duncan, impressionné par le gouffre vertigineux s'étendant jusqu'à plus de deux cents mètres en contrebas.

— Non, en effet, répondit-il. Dire que cette cavité est juste de l'autre côté du roc, en plein milieu de Kalsura et qu'aucun Congloméré ne l'a jamais su.

— Ne pensez plus à ces considérations, garçon, le coupa son contremaître. Concentrez-vous sur le banc d'essai. Tout peut arriver dans les minutes suivantes. Voilà tout ce dont vous avez besoin, à présent : du sang-froid et du bon sens ! Bon courage », conclut-il d'un ton empathique.

Ledtas hocha la tête machinalement. Ses pensées flottaient toujours sous l'effet de la fatigue. Il s'était échiné à la tâche une bonne partie de la nuit précédente à peaufiner les derniers ajustements et n'avait décidé de rentrer chez lui que lorsqu'il tombait de fatigue.

La veille, les ouvriers du Capitole avaient installé les rampes de lancement dans le prolongement des rails de l'entrepôt. Chacune était constituée de quatre sections coulissantes d'une vingtaine de mètres. En tournant une unique manivelle, il fit se déplier les trois rampes en simultané. Celles-ci s'allongèrent peu à peu dans le gouffre, esquissant une pente descendante à un angle d'environ soixante degrés. C'était déjà un exploit technique de maintenir cet ensemble de plusieurs tonnes avec un seul point d'appui sur une extrémité, alors avec les Girodynes en plus...

Provenant de la ville basse et s'élevant contre la paroi du roc, le vent s'engouffra dans l'anfractuosité. La section de passage étant plus resserrée en cet endroit, il y accélérait de manière significative par appel d'air.

À partir de là, l'essai prévu en ce jour se résumait en une ligne : utiliser cette soufflerie naturelle pour imiter un envol de Girodynes !

Supportés sur les rails, les aéronefs allaient être avancés jusqu'au bord de l'entrepôt, leur dos faisant face au précipice ; là, ils seraient balancés dans la cavité du roc et se mettraient à glisser le long de la rampe inclinée. Selon les calculs menés par les ingénieurs du Capitole, le flux d'air du courant ascendant procurerait une portance suffisante aux Girodynes pour compenser la gravité. Après être descendus le long de la rampe, ils se stabiliseraient et se maintiendraient en équilibre statique ! Si cela ne suffisait pas, chaque Girodyne était équipé d'un couple de réacteurs dorsaux, dont la traction s'ajouterait à celle du vent. Quant à Ledtas, il contrôlait la manivelle et pouvait modifier l'angle d'inclinaison des rampes. L'essai de ce jour prévoyait jusqu'à trois configurations.

Plusieurs conditions s'avéraient cependant nécessaires pour le test fût couronné de succès. Les responsables tôlerie et les équipementiers avaient-ils suffisamment réduit le poids des Girodynes ? Les aérodynamiciens avaient-ils optimisé le profil des pales, la poussée générée dans les hélices suffirait-elle à compenser la chute de l'aéronef ? Enfin, même si son contremaître et les experts en aéronautique avaient vérifié l'ensemble de ses travaux, Ledtas avait-il conçu une rampe de lancement suffisamment robuste ? Qu'il advienne le moindre problème isolé et les Girodynes chuteraient jusqu'à se fracasser en contrebas ! Rien ne garantissait la réussite de l'essai. C'était d'ailleurs pour ne pas se baser sur le résultat d'un essai unique que l'Autorité Qileth avait tranché pour lancer en simultané trois Girodynes. Quitte à provoquer trois morts d'un coup...