III

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Le lendemain, le samedi vingt-huit septembre aux alentours de onze heures du matin, les Kergilians se rassemblèrent sur l'une des places publiques de la ville basse. Pelior tenait dans sa main un étendard qui flottait majestueusement au gré du vent. Il s'agissait du drapeau du Conglomérat, sur lequel il avait apporté une subtile modification. L'ancien emblème de Kalsura avait été en son temps un simple rond violet sur fond blanc. Le Conglomérat avait par la suite rajouté six étoiles jaunes sur le fond blanc, disposées à intervalles réguliers sur le pourtour extérieur du rond ; une septième étoile avait ensuite été ajoutée lors de l'arrivée d'Yliss à l'Aréopage. Avec quelques coups de pinceau, Pelior avait repeint en jaune l'entièreté de l'arrière-plan blanc, dissimulant par là les sept étoiles et ne laissant qu'un rond violet sur fond jaune. Tel était le nouvel emblème de Kergilia.

Plusieurs fanions du même jaune éclatant luisaient avec les rayons du soleil. Les Kergilians s'étaient passé le mot : ils étaient nombreux dans le rassemblement à arborer une tenue de semblable couleur. Ils en avaient assez d'être des Conglomérés de seconde zone et de continuer de suivre les règles de l'Aréopage. Ils ne souhaitaient plus mener de front leur dur labeur et l'ingrate gestion de leurs finances personnelles, sans pour autant réussir à s'en sortir. Aujourd'hui, ils étaient tous réunis, bien décidés à faire entendre leurs considérations trop longtemps ignorées.

Pelior s'engagea dans l'un de ces discours historiques qui se tiennent d'habitude à l'Agora :

« Aux Autorités qui nous offrent une réduction d'impôts tels des seigneurs jetteraient des miettes à leurs bouffons sous leur table, voilà ce que je réponds : les Conglomérés aspirent à la dignité, rien de plus. Ils ne souhaitent pas du pouvoir d'achat, mais du pouvoir vivre ! Voilà cinq années au moins que nous tous, citoyens de la ville basse, vivons dans des conditions insupportables. Pendant le même laps de temps, vous, Autorités, avez maintenu un train de vie luxueux en vous gavant éhontément sur le fruit de notre travail. Vous vous êtes enrichis sur notre sueur, sur notre labeur, sur notre sang... ! Votre avidité et votre voracité sont écœurantes ! Vous possédez plus de richesses que l'aristocratie d'autrefois, mais vous avez l'honneur en moins ! Vous êtes calculateurs et machiavéliques, vous êtes de dangereux mafieux, vous n'êtes en réalité que de vulgaires sociopathes... ! Vous êtes déconnectés de la réalité et n'avez rien compris à ce que vivent les Conglomérés au quotidien, ceux-là mêmes que vous prétendez gouverner. Faut-il que vous vous nommiez "Autorités", parce que vous craignez de perdre toute autorité sur vos sujets ? Eh bien, ce jour est arrivé !

« Aux lâches qui veulent les meilleures places de cette drôlerie de machine spoliatrice, à ceux qui désirent faire bonne chère tout en faisant fi des souffrances qui se tiennent à quelques rues de leurs logis ; à ceux-là qui détournent les yeux, je dis : rejoignez les porcs de l'Aréopage et engraissez-vous à leurs côtés ! Votre amour pour toutes ces choses qui détruisent les Hommes vous a rendu faible ! Allez rejoindre les porcs de l'Aréopage, puisque c'est là ce dont vous rêvez au plus profond de votre âme !

« À ceux, par contre, qui seraient prêts à abattre le Conglomérat et à mettre en place un système plus juste et équitable, je dis ceci : il n'est point de démocratie véritable sans citoyens éveillés et il n'est point de liberté sans citoyens éclairés ! Kergilians, les peuples ont toujours été réprimés par des systèmes que l'on appelle états, sociétés ou nations. Pour renverser l'ordre du Conglomérat, faisons valoir notre inébranlable vision. Quelle meilleure lutte peut mener un esclave que celle lui permettant de briser ses chaînes ? Lorsque les revendications les plus élémentaires ne sont pas écoutées, existe-t-il une autre voie que l'appel aux armes ?

« Kergilians, battons-nous pour notre avenir. La guerre est déjà déclarée et nous sommes contraints de répondre à nos ennemis. Battons-nous tant qu'il en est encore temps, non pas pour tuer nos opposants, mais pour faire triompher nos idées ! Battons-nous avant que cette guerre ne prenne fin et que les Sept ne mettent la main sur l'Urâh. Battons-nous, tant que nous sentons encore en nous la vigueur de notre jeunesse et que nous avons encore l'énergie de nous construire ce Nouveau Monde ! Travailleurs, refusez de suivre les instructions de vos contremaîtres. Prenez le contrôle des fabriques, assiégez-les et mettez-les en grève. Boycottez les productions des empires des Sept et favorisez des alternatives plus vertueuses ; mais surtout, n'abandonnez jamais le combat. Battez-vous, jusqu'au bout... !

Les SeptOù les histoires vivent. Découvrez maintenant