VI - Drosdar

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Plus tôt dans la journée, les retrouvailles entre Drosdar et ses amis s'étaient montrées des plus chaleureuses. Dieu merci, il n'y avait pas eu d'autres morts à déplorer !

Il s'était instruit des nouvelles du front. Une fois hors des plateaux, ses compagnons d'armes s'étaient contentés de poursuivre l'armée assylienne à travers les vallons, les clairières et les bois. Et après une journée de pause pendant laquelle les deux campements s'étaient figés aux frontières du Conglomérat, ils étaient rentrés à la capitale et étaient arrivés ce matin même. Cependant, à peine avaient-ils traversé les portes que leur lieutenant leur avait annoncé que leur permission avait été annulée ! Ils avaient été contraints de retourner à la caserne, où ils avaient été accueillis en grande pompe par l'attaque des Kergilians !

Tout au long de l'après-midi, Drosdar s'était demandé s'il finirait par changer d'avis ; mais, avec l'arrivée de la soirée et le début de la célébration dans la pièce commune de la caserne, il sut qu'il était fixé.

Le colonel Barthelemeus faisait vibrer son auditoire avec des clichés virilistes et masculinistes.

« Les Assyliens sont des lavettes ! rugit ce dernier. Faisons en sorte de les renvoyer chez eux !! Oui, nous allons, tous ensemble, les enculer sévère ! C'est vous, vaillants soldats du Conglomérat, qui allez repousser l'armée ennemie jusque dans leur pays de merde !! Et vous allez le faire... avec votre grosse bite !! »

Parmi les clameurs des soldats, Drosdar se surprit à entendre Evan gueuler à haute voix :

« Ouais !!! Le colonel a raison !! Ces vermines vont payer !!

— On n'en fera qu'une bouchée de ces connards ! cria à son tour Matthew.

— Ils ont voulu nous la mettre profond, on va le leur rendre au centuple !! » hurla enfin Ryan, marqué pour le reste de sa vie par la perte de son bras gauche arraché.

Annie avait repéré son regard désapprobateur et lui chuchota plus posément :

« Kalsura doit gagner. Il faut que la victoire soit nôtre, coûte que coûte. Ou alors, qu'allons-nous devenir ? »

Drosdar, lui, repensait au pauvre Elyadil qui avait enduré des séances de torture lors de ses derniers jours, loin des siens et loin de tout.

Tout cela n'est qu'une vaste mise en scène, une illusion. Dans le camp de l'ennemi, il y a des individus qui nous ressemblent bien plus que nous ne voudrions l'admettre ; des êtres humains contraints de participer à cette guerre qu'ils n'ont pas choisie, obligés de prendre les armes et de tuer pour survivre.

Imprégné de pulsions guerrières, le colonel prévoyait l'arrivée imminente de batailles héroïques à mener pour la gloire de Kalsura. Tout cela n'était que du pipeau. Une tragédie morbide et inarrêtable ; voilà ce qui attendait les soldats, rien de plus.

Drosdar comprit cependant qu'un tel recul le mettait en danger. En ces temps de guerre, avoir une vision claire vous donne moins de cœur au combat, confère de l'empathie envers vos adversaires, vous fait hésiter à presser sur la gâchette ; alors, l'ennemi a le temps de riposter et c'est là qu'il vous abat froidement.

En temps de guerre, la prise de conscience tue.

La propagande du colonel, voilà ce qui maintenait les soldats conglomérés en vie. Evan, Matthew et Ryan ne croyaient peut-être pas réellement aux mots du colonel, mais ils se couvraient volontairement de cette illusion afin d'augmenter leurs chances de survie lors des combats à venir ; quitte à y perdre leur esprit critique, et même leur libre arbitre...

Drosdar se demanda s'il se prenait à juger ses confrères afin de couper les liens plus facilement avec eux. Le voilà qui dressait un tableau sombre à l'égard des militaires conglomérés, mais au fond, était-il si différent d'eux ? Après tout, l'ambition avait toujours guidé ses actes, en plus du souhait d'attirer l'attention et de ce besoin de reconnaissance inextinguible.

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