VII - Drosdar

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Drosdar n'était pas revenu à son domicile depuis la promulgation de l'état d'urgence. Qu'il était agréable de retrouver un peu de place rien que pour soi, de remettre la main sur ses affaires, de sentir le confort de son propre lit ! Hélas, il n'avait pas le luxe de goûter au plaisir de l'intimité retrouvée ; à peine avait-il retrouvé son chez-lui, qu'il s'apprêtait le quitter pour toujours !

Il rassembla son équipement de fortune : sac à dos, provisions, gourde d'eau, duvet, boussole, un pistolet à vapeur ainsi que son privilégié fusil à lunette ; le strict minimum, au vu de ce qui l'attendait. Les minutes s'écoulaient, mais il se préparait encore, s'affairant avec lenteur. Il trouva rapidement la source du mal : son départ imminent l'angoissait et, malgré lui, il repoussait le moment fatidique. Pourtant, il lui fallait franchir le pas. Maintenant qu'il avait arrêté sa décision, la crainte de l'inconnu ne devait pas le décourager.

Allez, Drosdar, un peu de courage... !

Il avait laissé ses idées germer sans les partager à quiconque. Il avait cogité seul sur sa désertion, n'en discutant à personne d'autre qu'à Soline. Drosdar avait beau être indépendant d'esprit, il avait toujours eu besoin de l'approbation et du soutien de ses amis ; quant à la solitude, elle le terrifiait... En cela, il différait beaucoup de son frère, bien plus introverti que lui.

Il prit conscience qu'il remettait beaucoup de choses dans les mains du destin. Qu'allait-il se produire lorsqu'il aurait quitté Kalsura ? La voie laissée par le Polgorath serait-elle suffisamment claire ? Aurait-il suffisamment de provisions pour atteindre sa destination ? Enfin, Vanëal tiendrait-elle l'ensemble de ses promesses ? Tant de "si"... Il redoutait aussi que l'appel de l'Archontesse ne fût qu'un piège grossier visant à semer la discorde dans Kalsura ; auquel cas, il aurait à peine foulé le sol de l'Assylie qu'il se ferait aussitôt emprisonner ou pire, tuer... S'apprêtait-il à commettre une effroyable erreur ?

Ressassant toutes les hypothèses, Drosdar sursauta lorsqu'on frappa violemment à sa porte. L'armée l'avait su !! Mais comment... ? Il avait pourtant pris toutes les précautions nécessaires, il s'était même assuré de ne pas avoir été suivi jusque chez lui ! Drosdar balaya instinctivement la pièce du regard même s'il la connaissait par cœur : aucune cheminée, aucune fenêtre s'ouvrant sur la rue principale ; il n'y avait, hélas, aucune échappatoire... Son périple venait à peine de commencer qu'il était pris la main dans le sac !

La porte résonna à nouveau sous les coups insistants. Drosdar dissimula ses affaires au mieux. Peut-être le tribunal se montrerait-il clément, s'il se trouvait encore à l'intérieur des murs de Kalsura ? Hélas, il comprit qu'en ce contexte d'état d'urgence, avoir simplement déserté la caserne lui entraînerait la pire des condamnations... Il n'avait plus le choix. Le pistolet à vapeur serré dans sa main, il ouvrit la porte d'un geste brusque, prêt à défendre chèrement sa vie ! Il ne s'agissait pas de soldats venus le récupérer. C'était Soline ! Soline, effrayée par sa réaction et par cette arme pointée sur son front.

N'en revenant pas, Drosdar laissa s'échapper l'arme de ses mains sous le coup de la surprise et celle-ci tomba lourdement sur le sol. Il resta interdit. C'était bien Soline qui se tenait là sur le perron ; Soline, équipée d'un sac à dos et d'une tenue de marche ; Soline, silencieuse, qui n'avait rien d'autre à lui communiquer à part ce regard décidé. Il n'avait pas songé un instant qu'elle le rejoindrait au beau milieu de la nuit. Il n'en croyait toujours pas ses yeux, mais si, Soline était vraiment là, résolue à partir avec lui dans cette expédition des plus incertaines. Quelques instants de plus et ils se seraient manqués sans jamais se revoir.

Drosdar sentit le poids de la responsabilité s'abattre sur lui. Il lui avait certes proposé à Soline de l'accompagner en Assylie, mais cela s'était fait sous le coup de l'improvisation, presque plus par politesse que par réelle conviction ; peut-être était-ce même par lâcheté de rompre avec elle qu'il avait mis la balle dans son camp. Allait-il assumer jusqu'au bout, maintenant qu'elle se trouvait là ? Soline était prête à chambouler le reste de sa vie pour le suivre, mais était-il digne de sa confiance ? Rongé par le doute, il songea presque à la renvoyer chez elle pour lui éviter des regrets.

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