8. Les failles cachées

4 1 0
                                    

••~••
Samedi

Se réveillant d'un cauchemar, Abdel se leva d'un mauvais pied. Il avait rêvé de Monsieur Couvier, cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps. C'était sûrement sa rencontre inopportune avec Chiheb qui avait réveillé ses mauvais souvenirs. Voilà pourquoi il avait voulu couper les ponts avec lui. Pour éviter de rester hanté par le passé. Et ça lui avait réussi, il ne l'avait pas abandonné pour rien. Il ne pouvait juste pas prévoir qu'il referait surface. Mais soit, c'était déjà trop tard. Il se leva, voyant que Chiheb dormait encore. Il voulut partir sans le prévenir, pour éviter ce qui allait suivre, mais en posant un pied sur le matelas de mousse, Chiheb bougea et se réveilla.

— Hum... il est quelle heure...

Dégoûté, Abdel soupira et se laissa tomber sur le lit, assis. Il sortit son téléphone et lui dit :

— Dix heures.
— Déjà ?

Chiheb se releva en se frottant les yeux, s'asseyant tranquillement. Ils restèrent quelques secondes en silence, le temps de remettre leurs idées en place. Abdel put très bien voir le visage de Chiheb changer, se fronçant. Il sut aussitôt qu'il allait avoir droit à une ribambelle de reproches. Chiheb se releva pour lui faire face. Quant à Abdel, il garda une position décontractée, pour ne pas montrer l'irritation et l'anxiété qui l'habitait.

— T'es sérieux Abdel ? Tu te défonces maintenant ?
— Qu'est-ce que ça peut faire ?
— Qu'est-ce que tu as pris ? Pour être dans cet état, je parierais sur de la cocaïne.
— Bien vu Sherlock.

Chiheb leva les yeux au ciel devant tant d'insolence. Le cœur d'Abdel battait la chamade, il n'arrivait pas à le confronter. Parce que c'était Chiheb, son ami d'enfance, le seul garçon dont il était tombé amoureux.

— Et t'en prends souvent ?
— En quoi ça te regarde ?
— Réponds !
— Ouais ça m'arrive. C'est ça que tu voulais entendre ? J'adore me défoncer et ça ne concerne que moi !

Chiheb le regarda avec des gros yeux, comme s'il venait de dire la connerie du siècle, alors même qu'il n'avait qu'avouer sa vérité.

— Mais j'y crois pas ! Tu n'as que vingt ans et tu veux déjà foutre ta vie en l'air ? Tu sais les effets que ces merdes ont sur le cerveau ? Tu veux cramer tes neurones ? Et puis merde ! Tu as bien vu dans quel état ça t'avait mis la dernière fois ! Et aujourd'hui encore ! Et tu continues ? T'es devenu bête ou quoi ? Sérieux, comment ça se fait que tu aies autant changé ? Tu... tu étais adorable quand tu étais jeune, et aujourd'hui, tu baises avec le premier venu qui passe son temps à te casser du sucre sur le dos, t'es vulgaire, et tu te drogues ? Je te reconnais plus. T'imagines le mal que ça doit faire à tes parents ?

Sa vie avait été réduite à néant depuis bien longtemps déjà. Oui il avait changé. Oui il baisait avec le premier venu. Oui, il était vulgaire. Oui, il ne se reconnaissait plus. Mais il ne laisserait pas Chiheb lui parler comme ça. Alors loin de lui l'idée de se confier, mais juste pour lui faire fermer son clapet, et lui balança :

— Mes parents sont morts.

Le visage de Chiheb changea du tout au tout, et il se mit à bégayer :

— Quoi ? Mais... je... qu'est-ce qu'il s'est passé ?
— Mon père a replongé dans l'alcool et a fait un coma éthylique. Ma mère s'est suicidée juste après.

La mâchoire contractée, il regarda le visage de Chiheb s'attendrir avec colère. Il détestait devoir le dire, parce qu'il ne voulait pas de cette expression-là.

— Je suis...
— T'es désolé, ouais, je sais. Tout le monde l'est. Mais je ne veux pas de votre pitié. Alors maintenant, libre à toi de devenir mon père si ça te chante mais sache que je ne te ferais aucun cadeau.

Il foudroya du regard Chiheb qui déglutit, mal à l'aise. Contrairement à ce qu'il pensait, Chiheb s'assit à côté de lui, le regard dans le mur, et lui demanda d'une petite voix :

— C'est à cause de ça que tu es devenu comme ça ?
— Pas du tout.
— Tu sais qu'ils t'aimaient ?
— Pas assez visiblement. Ils m'ont abandonné, fin de l'histoire.
— C'était quand ?

Il garda le silence. Il n'arrivait pas à prononcer les mots. Chiheb du le comprendre puisqu'il lui chuchota :

— Peut-être qu'au contraire, ils t'aimaient trop, et qu'ils s'en voulaient trop de ne pas avoir pu te protéger.
— Tu déconnes ? En me laissant tout seul ? C'est la pire preuve d'amour que je n'ai jamais entendu.
— Peut-être, mais aucun parent n'est parfait.

Il se tut, ne voyant pas ce qu'il pourrait redire à ça. Chiheb dû sentir que la conversation le tendait, alors il lui demanda :

— J'imagine que tu es toujours en contact avec Abriel. C'est lui qui t'a initié au mannequinat ?
— Ouais. Lui et Will m'ont adopté pour m'éviter le foyer.
— C'est gentil de leur part.
— Ouais... ils sont... adorables.

Ça lui faisait bizarre d'avoir une conversation normale avec Chiheb, juste après une dispute de surcroît. Comme si au fond, ils ne s'étaient jamais quittés. Abdel s'en rendait compte maintenant, Chiheb lui avait manqué. C'était con à dire, mais c'était la vérité. Chiheb lui avait manqué. Alors qu'il se répétait cette phrase, il sentit que Chiheb lui avait pris la main et la lui serrait. Ça lui fit tout drôle, et lui rappela Fabien. Sauf qu'il n'avait pas envie de penser à lui, alors il demanda :

— Et toi ? T'es en études du coup ?
— Ouais, pour devenir producteur. J'en bave un peu mais ça le fait. C'est ma dernière année de toute façon.
— Et ta vie ? Ça se passe bien ?
— Ouais. Je sors d'une relation... compliquée on va dire. Mais c'est fini tout ça, j'arrête les conneries.

Il hocha la tête, ne voyait pas ce qu'il pourrait ajouter de plus. Chiheb tenait toujours sa main. Ils se complurent dans ce silence reposant qui suivait les cris et les aveux. Quand soudain, Chiheb chuchota :

— Tu m'as manqué.

Cela lui fit comme un coup dans la poitrine. Se sentant suffoquer, Abdel voulu fuir pour retrouver un peu d'air.

— Je... je dois rentrer chez moi.
— Euh... ok...

Il se relava, lâchant la main de Chiheb avec regret. Alors qu'il se dirigeait vers la sortie, son vieil ami lui attrapa le bras et lui demanda :

— Tu... tu crois qu'on pourrait se revoir ?
— Je... je ne pense pas pouvoir...

Et en effet, il ne pouvait pas. C'était bien trop douloureux pour lui. Il ne pouvait juste pas. Chiheb parut déçu, alors il claqua la porte derrière lui pour ne plus voir cette expression sur son visage. Le cœur lourd, il prit le métro pour rentrer chez lui, l'esprit dans le vague. En arrivant, Abriel l'accueillit avec un joli sourire, alors qu'il faisait la vaisselle.

— Tu as passé une bonne soirée ?
— J'ai croisé Chiheb.
— Ça alors ! Et alors ? Comment ça s'est passé ?

Il haussa les épaules pour seule réponse et alla s'enfermer dans sa chambre, avant de s'écrouler sur son lit.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant