10. La chute

4 0 0
                                    

••~••
Dimanche

En se réveillant dans ses draps, Abdel était bien. Il avait passé une très bonne nuit avec Fabien, que ce soit dans le sexe ou quand il s'était endormi dans ses bras. Il le savait désormais, il était prêt à l'aimer. Il était prêt à ouvrir son cœur de nouveau, il n'y avait pas de risque, Fabien était quelqu'un de bien. Il lui faisait confiance. Il était adorable avec lui, toujours gentil, il ne se concentrait pas que sur le sexe mais s'intéressait aussi à lui. Il l'invitait au restaurant, à son spectacle, ce n'était pas rien. Il était bien avec lui. La preuve : il avait réussi à lui parler de ses gros traumatismes. Et il n'avait pas été dégoûté, il n'avait rien dit.

En se retournant dans son lit, il tâtonna le matelas à la recherche du corps de Fabien, mais trouva sa place froide. Il se redressa aussitôt. Peut-être qu'il était parti avant que ses parents adoptifs, qu'Abriel ne se lève, Will était plutôt un lève tard. Mais non, ses affaires étaient toujours là, même ses vêtements. Il pensa alors qu'il était allé prendre une douche, mais il n'entendit pas l'eau couler. C'était comme si Fabien s'était volatilisé. Perdu, il se rhabilla, et sortit de sa chambre. Il entendit des voix s'élevées venant de la cuisine, mais il resta sur le pas de la porte, sous le choc. Fabien était là, avec Abriel, nu. Abriel était collé contre le plan de travail alors que Fabien l'encerclait de ses bras, les mains poser sur le plan de travail, proche de lui, bien trop proche pour que ce soit normal. Abdel resta pétrifié, ne comprenant pas ce qu'il se passait. Il écouta leur conversation sans se faire voir, apeuré.

— Alors c'est pour ça que tu as approché Abdel ?
— C'est ça. J'ai fait des recherches, je savais qu'il était proche de toi. Je savais que je pourrais te rencontrer si je restais avec lui. Et ça à marcher ! Maintenant on peut être ensemble, rien que tous les deux.
— Dégage de chez moi ou j'appelle la police.
— Avec quel téléphone ? Tu n'as même pas de poche et je ne te laisserai pas faire.
— T'es complètement fou ! Laisse-moi partir maintenant. Il est hors de question que je sorte avec toi, ou même que je pose mes yeux sur toi. N'approche plus jamais d'Abdel.
— Parce que tu crois qu'il m'intéresse ? C'est encore un enfant, mais toi tu es un homme. Soit réaliste ! Tout le monde te déteste, ton mec se sert de toi pour gagner en popularité. Il n'y a que moi qui puisse t'aimer.
— Dégage d'ici !

Paralysé par ce qu'Abdel venait d'entendre, son cerveau encore endormi avait du mal à assimiler ce qu'il se passait et ce qu'il se disait. Son cœur se brisa dans sa poitrine, et les larmes lui montèrent aux yeux. Ça ne pouvait pas se passer comme ça, pas maintenant qu'il venait de lui ouvrir son cœur. Il avait eu tort de faire confiance. Mais quand Fabien se pencha vers Abriel pour l'embrasser, il ne pût rester inactif. Alors qu'Abriel se débattait, Abdel rentra dans la cuisine, agrippa les épaules de Fabien et le tira violemment en arrière. Il lui hurla, hors de lui :

— Lâche-le !

Après un instant de torpeur, Fabien lui fit face et le regarda d'un œil sévère :

— Et qu'est-ce que tu vas faire si je ne pars pas ? Qu'est-ce qu'un gamin comme toi pourrait me faire ? Qu'est-ce qu'une salope comme toi pourrait me faire ? Tu baises avec tout le monde et tu viens me faire la morale ? Tu ne peux rien faire, personne ne t'aime.

Même si ça n'aurait pas dû, ses mots le blessèrent énormément. Fabien se servait de ce qu'il lui avait dit pour le retourner contre lui. Il avait envie de vomir. Il lui avait accordé sa confiance la veille, et il s'était fait trahir de la pire des façons. Fabien le prit par les épaules, continuant à lui crier des insultes alors qu'Abriel tentait de lui faire lâcher prise. La colère d'Abdel était toujours là, mais recouverte d'une tristesse infinie. Encore sous le choc de la trahison qu'il venait de vivre, il ne parvint pas à se défendre. Ce ne fut que quand Will arriva, alerté par les cris, que les choses bougèrent. Ce dernier eut la présence d'esprit de s'emparer d'un couteau, qu'il pointa sans peur vers Fabien. L'homme lâcha Abdel comme au ralenti, surpris de son initiative. Tout le monde se figea, la respiration coupée, attendant de voir ce qu'il allait se passer. Jusqu'à ce que Will dise d'une voix qu'Abdel ne lui connaissait pas :

— Maintenant tu dégages ou je te plante. Et crois-moi, blesser un connard comme toi ne me fais pas peur du tout. Fous le camp de cet appartement.

Fabien resta immobile, cherchant sans doute à voir s'il était sérieux ou non. Mais Abdel savait qu'il l'était. Will faisait peur à cet instant, parce qu'il craignait que les choses ne dégénèrent. Et si Will le poignardait ? Et s'il se retrouvait en prison ? Et tout ça par sa faute, parce qu'il avait fait confiance à la mauvaise personne ? Abdel ne pouvait pas se l'imaginer, il ne le supporterait pas. Fabien finit par faire un pas en arrière, puis deux, avant de s'enfuir vers la chambre. Il revint quelques minutes plus tard, habillé, et sortit sans demander son reste. Dès que la porte claqua, Abdel se laissa tomber par terre, incapable d'assimiler ce qu'il s'était passé, ou que cette histoire était terminée. Abriel le suivit aussitôt pour le prendre dans ses bras, la respiration forte. La mâchoire crispée, Abdel ne put se résoudre à lui rendre l'étreinte, et se contenta de répéter :

— Je suis désolé. Je suis désolé.
— C'est fini Abdel, c'est fini.

Will s'accroupit à son tour, les regardant tous les deux.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Abdel était incapable d'expliquer les choses. Les mots étaient bloqués dans sa gorge. Alors il se contenta de se coller contre le torse d'Abriel, de peur qu'il lui en veuille. À cause de lui, Abriel avait manqué de se faire agresser. Il s'était fait agresser. Tout ça parce qu'il avait cru bon de tomber amoureux. Il ne se ferait plus jamais avoir, il aurait dû comprendre qu'il n'était pas fait pour le bonheur. Mais ça lui avait fait tellement de bien d'espérer que les choses changent, d'espérer un couple solide avec Fabien. Mais maintenant il comprenait mieux pourquoi il s'était montré si gentil avec lui. Juste pour gagner sa confiance et approcher Abriel. Il n'en avait rien à foutre de lui. Abdel n'avait été qu'une passerelle, le gentil con qui lui avait permis d'atteindre son but macabre.

— Cet homme a approché Abdel pour... pour m'atteindre.
— Eh merde...

Il remercia par l'esprit Abriel pour avoir répondu à sa place. Il ne s'en sentait pas capable, il avait trop honte de s'être fait avoir. Et dire qu'il commençait à avoir des ébauches de sentiments pour Fabien... heureusement qu'ils n'étaient pas allés trop loin tous les deux. Mais Abdel avait accepté des choses pour lui, pour se faire bien voir, comme être pris en levrette alors qu'il détestait ça. Il lui avait donné tout ce dont il était capable, et en retour, voilà ce qu'il récoltait. La tristesse passant, la colère fit son apparition. Quelqu'un avait osé toucher à Abriel. Abriel qui avait déjà tant souffert. Abriel qui l'avait adopté. Abriel qui l'aimait. Abriel qui était la seule lumière dans sa vie. Il ne pouvait pas le permettre. Fabien n'était qu'une ordure de s'en être pris à lui, il voulait le lui faire payer, mais ne savait pas comment faire. Et puis, il n'était pas quelqu'un de violent, il ne savait pas se battre. D'autant qu'il savait que s'il le revoyait, il resterait paralysé comme tout à l'heure. Mais s'apitoyer sur son sort ne servait à rien. Alors il se détacha d'Abriel, reprit son masque et se redressa.

— Je ne laisserai plus ce genre de chose se reproduire. On ne m'y reprendra pas deux fois.

Les yeux brillants d'Abriel le scrutaient, comme s'il avait peur de quelque chose. Abdel ne voyait pas de quoi, il se faisait juste la promesse de ne plus s'attacher. D'autant qu'il savait comment Abriel été vu par la société. Soit comme un dépravé, soit comme un prostitué libre-service. Seul Chiheb ne l'avait pas considéré comme ça. C'était à lui de le protéger, lui et personne d'autre. Il le lui devait bien ça, après tout ce qu'il avait fait pour lui. Ce n'était pas un euphémisme, Abriel l'avait sauvé. Il s'était occupé de lui et de ses crises après la mort de ses parents. Lui seul l'avait compris, lui seul avait vécu les mêmes choses. Mais Abdel ne pouvait pas affronter son regard. Alors il fuit dans sa chambre, fermant sa porte à clef alors qu'Abriel avait tenté de le suivre. Il se mit directement au lit, hurlant toute sa peine et sa rage dans son oreiller.

PHOBIA TO EUPHORIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant